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L'école des présidents

Réflexions sur les programmes pour l'école des candidats à l'élection présidentielle française.

Notre constitution nationale remet au Président de la République la responsabilité d'orienter la politique du pays dans tous les domaines et à plus forte raison là où se situent les enjeux réputés les plus forts.

Compte tenu de nos traditions politiques et de l'histoire de notre école, du lien étroit qui unit l'école et l'identité nationale, on s'attend dans ce domaine à la présentation de projets fermement articulés, cohérents, sensibles aux difficultés de l'époque et montrant une direction lisible.

Au cours de la campagne présidentielle, et bien avant au moment des « primaires » chargées de départager les prétendants, les affrontements ont pris un tour très vif sur des thèmes dont on savait qu'ils prêtaient à des vigoureuses affirmations. C'est vrai pour l'économie dans son rapport avec l'emploi, pour l'état des finances publiques, sur l'Europe et ses perspectives et sur la sécurité des français. Par contraste, la discussion sur les politiques scolaires est passée au second plan ou a fait l'objet de contribution auxiliaire dans des controverses jugées plus urgentes. C'est le cas par exemple, lorsque l'on veut favoriser l'emploi à l'aide de la formation, ou encore lorsqu'il est question de l'économie numérique; on mise alors sur l'école comme ressource, entre autres, pour mieux préparer la jeunesse à des orientations adaptées ou à la création d'entreprises modernes. C'est encore le cas, indirectement, lorsqu'il s'agit de handicap et d'accueil de populations fragiles ou bien d'intégration d'enfants issus de l'immigration. Dans ces cas l'école est considérée comme un moyen mais les fins sont absentes.

A partir d'un choix assez large d'extraits des propositions des candidats en matière d'école, nous souhaitons faire apparaître les différents aspects de cette marginalisation du thème scolaire au cours de la campagne électorale en nous interrogeant sur ceci: l'école demeure-t-elle une grande question politique et que peut-on craindre d'une réponse négative – ou du moins restrictive – à cette question?

Quelques avertissements sur notre méthode sont indispensables: notre texte n'a rien de militant ou de politiquement orienté; nous n'exprimerons pas de préférences pour un programme et ne classerons pas les candidats. Ce qui nous intéresse c'est de révéler le type de philosophie politique en matière d'éducation qui sous-tend l'ensemble des programmes. A cet égard les différents candidats offrent de nombreux points communs.

Aucun des programmes n'appelle de notre part un rejet global, tous contiennent des mesures qui seraient pertinentes si elle pouvaient s'intégrer à une construction d'ensemble en s'articulant logiquement entre elles et par rapport à une finalité globale. Ce qui ne se produit jamais.

Nous ne mentionnerons pas le nom des candidats ni les étiquettes des partis ou mouvements auxquels ils se rattachent. Cela nous éloignerait de notre but qui consiste à faire apparaître les carences de la pensée politique sur l'école, quels que soient les appareils politiciens.

Quelles sont nos sources? Les articles parus au cours de la campagne dans quelques grands quotidiens régionaux ou nationaux de France, principalement Ouest-France, Le Monde et sa « Lettre de l'Éducation ». Nous avons pris également connaissance des tracts des candidats.

Les citations que nous apportons sont ce qu'elles sont: on ne peut pas exclure que des journalistes aient pu

simplifier ou abréger les énoncés des candidats.

Pour ne pas disperser nos observations, nous les avons rassemblées dans cinq rubriques, chacune illustrant un mode de fragilisation de la pensée politique scolaire:

1/ Le défaut de consistance de nombreuses propositions, imputable à leur caractère trop général, évasif ou encore infaisable.

2/ Des mesures présentant par rapport au champ scolaire un caractère périphérique et frôlant éventuellement le « hors-sujet ».

3/ Des formules de campagne ou ripostes politiciennes qui s'adressent aux adversaires et révèlent des positions plus revanchardes ou alternantes que constructives.

4/ des suggestions qui désengagent l'état et de ce fait évoquent un affaiblissement de son lien fondateur avec l'école.

5/ Un usage douteux des chiffres.

Les mesures de faible consistance sont nombreuses

Ce défaut d'étoffe tient souvent au caractère très général de la proposition. C'est le cas lorsqu'on lit « améliorer les conditions de travail des enseignants ». Envisage-t-on de réduire le service des enseignants ou d'abaisser les effectifs dans les classes (approches traditionnelles soutenues par les syndicats) ou bien reconnait-on les nouvelles difficultés du métier consécutives à la relation avec des élèves compliqués et à des familles mal disposées envers l'école?

« Augmenter le budget de l'enseignement supérieur » constitue une perspective très floue tant que l'on n'indique pas les transformations attendues.

« Développer l'autonomie des établissements du secondaire »: la formule n'engage à rien dans le système centralisé que nous connaissons.

« Assurer la maîtrise d'un socle de connaissances à la fin de l 'école primaire » s'apparente à un vœux pieux. Le propos apparaît sympathique mais illusoire à qui connait l'hétérogénéité des élèves en fin de cycle 3 ainsi que les pratiques d'admission systématique au collège. Une formule telle que »n'entreront au collège que les élèves disposant du socle » aurait le mérite de la précision mais on imagine l'antipathie générale qu'elle attirerait.

Ce flou se retrouve encore dans l'intention de « revaloriser le salaire des enseignants ». L'application de ce point de programme, on s'en doute, se traduirait par des mesures symboliques compte tenu de l'austérité budgétaire installée dans la fonction publique. Inversement, comment s'exprimerait une volonté politique sincère de reconnaissance par le salaire de la tâche des professeurs? En affirmant, par exemple, que ceux-ci compte tenu du niveau de leur recrutement, de la nature de leur responsabilité sociale, des nouvelles difficultés du métier devraient être aussi bien payés, dès le début de carrière, que les élèves issus des bonnes écoles d'ingénieurs. Un tel propos mettrait fin au déclassement des enseignants.

Les familiers du monde scolaire ne peuvent que s'étonner de propositions d'apparence très novatrice et qui ne sont pourtant que des « trompe l'œil »: elles n'impliquent aucune transformation concrète dans l 'école. « La scolarité obligatoire à 5 ans » alors que la quasi totalité de cette classe d'âge fréquente l'école se trouve dans ce cas: la grande section de l'école maternelle, sauf exception, fait partie du cursus scolaire ordinaire. Un candidat entend « protéger la liberté des parents d'inscrire leurs enfants dans une école publique ou privée » mais il n'existe à ce sujet aucun obstacle en l'état de la loi. L'idée « d'instaurer des quotas d'étudiants modestes dans les classes préparatoires » peut faire illusion. Il est avéré que ces classes contiennent une forte proportion d'élèves issus des catégories moyennes et supérieures mais l'admission ne concerne que les dossiers scolaires. Comment imposer des quotas là où la sélection n'obéit qu'à la prise en compte du niveau atteint?

« Concentrer l'école élémentaire sur les enseignements fondamentaux »: cette orientation obtiendra sans frais une unanimité de surface tant que la nature de ce fondamentalisme n'a pas été révélée. Pour certains, le terme désigne l'ensemble traditionnel réuni sous la fameuse triade « lire, écrire, compter », pour d'autres des composantes de cette trilogie se chargent d'une haute valeur, l'orthographe par exemple, pour d'autres encore les fondements se trouveront dans les savoir-faire numériques ou la connaissance précoce de l'anglais. Que penser encore de cette ambition de « faire de l'école un asile inviolable où les querelles des hommes n'entrent pas »? s'agit-il de sentimentalisme, de naïveté? L'auteur de ce vœu a-t-il conscience du lien très resserré qui unit une société à son école et empêche de ce fait une autonomie protégée de celle-ci?

Certaines propositions apparemment de bon sens se révèleraient sans doute inapplicables si l'on tient compte des traditions de la profession. Ainsi « affecter les enseignants chevronnés dans les zones d'éducation prioritaire ». Les enseignants obtiennent un poste en participant à un mouvement très règlementé. C'est le barème, dans lequel l'ancienneté prévaut qui en décide. L'administration ne s'autorise pas à transgresser ces usages et la promesse du candidat s'avère gratuite; on peut déplorer à ce niveau un manque d'information sur des usages anciens et solidement établis. Leur mise en cause représenterait une révolution dans la culture du métier.

Comment réagir à ce programme de « transmettre aux futurs citoyens la maîtrise de notre belle langue et l'amour de notre culture »? La proposition, sympathique, presque touchante, révèle involontairement l'ignorance du candidat sur l'état de la langue et de la culture dans notre société. La dégradation de la langue se poursuit depuis plusieurs décennies dans l'indifférence générale (quand elle n'est pas approuvée au nom de la modernisation) et le métissage culturel se répand avec les encouragements des élites diplômées. Que peut l'école face à des forces ouvertement hostiles à la traditionnelle « culture scolaire »?

Des mesures qui ne concernent pas, ou pas directement, l'école.

Entraînés par leur désir de plaire au plus grand nombre nos candidats composent, sous l'étiquette « Éducation nationale » des paniers hétéroclites pouvant ressembler à un « fourre-tout ». Nous y trouvons des mesures sans spécificité scolaire.

« Développer le service public de la petite enfance » est un projet utile de haute teneur républicaine mais dont l'incidence sur l'école est faible.

« Consacrer un milliard d'euros supplémentaires par an à la recherche » n'affecte pas spécialement l'école et « former un million de chômeurs » non plus.

« L'interdiction de rémunérer les apprentis en dessous du SMIC » n'a rien à voir avec l'école. «L'affectation de l'argent public à l'éducation au lieu de le distribuer  à perte au grand patronat » est un énoncé offensif reflétant une orientation politique forte, que l'on peut, éventuellement soutenir,mais qui n'oriente pas l'école.

Il en va de même avec la « revalorisation du travail manuel » encore que des programmes scolaires pourraient donner un coup de pouce à un tel projet.

De telles dérives dans le hors-sujet sont répréhensibles au nom de la rigueur intellectuelle mais, plus ennuyeux, elles participent à une dissolution de la configuration scolaire qui, peu à peu, perd sa vocation.

Le programme scolaire du candidat devient le réceptacle de ses aspirations culturelles, au sens large de ce terme. Il y inscrit ses attirances et ses rejets, laissant au passage l'impression que l'école a vocation à tout, qu'elle peut devenir le champ de toutes les évolutions de notre société, qu'elle est même là pour en provoquer les accélérations.

Des formules de campagne, des programmes de combat.

Les programmes pour l'école des candidats, toutes tendances confondues, abondent en mots tels que « abroger, rétablir, supprimer... » voici un échantillon:

    • abrogation de la réforme du collège.

    • Rétablissement des classes bilingues.

    • Abrogation des lois Fioraso dans le supérieur.

    • Supprimer les enseignements de langues et cultures d'origine;

    • stopper le financement public des écoles privées.

    • En finir avec les dogmes pédagogistes.

    • Abandon de la réforme des rythmes scolaires.

Ces formules souvent péremptoires contiennent des condamnations sans appel et insinuent que les politiques précédentes étaient totalement erronées. Par contraste elles installent leur énonciateur dans la toute puissance, l'infaillibilité , ce qui n'est jamais crédible dans ce champ si complexe de l'éducation scolaire.

Le couple «abroger/rétablir »apparait fréquemment. Il suggère que l'école est vouée à l'immobilisme et que les réformes successives n'ont été qu'un jeu entre les mains d'adversaires qui ne songeaient qu'à en découdre entre eux sans être sincèrement préoccupés par l'état de l'école.

L'offensive politicienne peut frôler le sectarisme dans certaines suggestions comme celle « d'en finir avec le pédagogisme ». Une formule plus prudente était possible pour évoquer la nécessité pour le Ministère de l'Éducation de prendre ses distances devant le bouillonnement contradictoire de doctrines. Mais ici, le désir de revanche se fait d'abord entendre.

Le désengagement de l'état au détriment de son lien symbolique et historique avec l'école.

Même si cette articulation n'est jamais formellement mise en cause, certaines propositions suggèrent une évolution à ce sujet.

D'abord on observe la continuité de la décentralisation: « confier l'enseignement professionnel aux régions ». Il s'agit ici, non plus d'un partage des tâches entre l'état et la collectivité locale mais bien d'une délégation, certains diront d'un abandon.

Une seconde transformation nous intéresse encore plus par sa nouveauté et, disons-le, sa radicalité: « autoriser les maires à revenir sur les rythmes scolaires ».

Qu'est-ce qui nous fonde à signaler ici un dépérissement de l'autorité de l'état sur l'école?

Ce n'est pas pour des faits de nature règlementaire puisqu'en principe l'état garde la main sur l'horaire global, le temps de scolarité pure. Le ministre dirait à peu près ceci: « faites comme vous voulez pourvu que la quantité horaire soit maintenue ».

Mais il faut rappeler les fondements de la loi sur les rythmes scolaires: si un ministre en a pris l'initiative c'est en considérant que pour tous les élèves de France, l'ancienne organisation du temps présentait des inconvénients et que la nouvelle configuration assurerait des bénéfices; tout cela en invoquant les travaux des chercheurs. Il s'agissait bien de l'intérêt général et maintenant, d'éventuels futurs présidents nous affirment que c'est au maire de la commune de décider ce qui est bon ou mauvais pour les élèves. Plus grave (et quelque peu comique): le bien de certains élèves correspondra à ce qu'il y a de pire pour d'autres; tout cela parce qu'ils n'habitent pas la même commune.

La mention de cette réduction de l'autorité centrale de l'état prend d'autant plus de relief que l'on trouve, chez certains candidats l'invitation à « recentraliser l'administration scolaire ». D'où une nouvelle question hors considérations techniques mais purement politique: où en sommes-nous pour que des candidats à diriger notre pays puissent exprimer avec conviction des orientations aussi contradictoires pour notre école?

On ne peut trancher cette question que d'une seule manière: nous assistons à la mise en cause du lien fondateur entre l'école et la république.

Les chiffres apportés par les candidats ont-ils un sens?

S'agissant de donner des orientations à l'école, les chiffres ne sont pas toujours indispensables car il s'agit d'abord de proposer des finalités, de choisir des valeurs et de fixer des caps. Nous ne demandons pas, comme certains journalistes, que « toutes les mesures soient chiffrées ». Par contre nous voulons faire observer la différence qui existe entre un usage raisonnable (y compris avec des approximations) du chiffre et un maniement qui donne le sentiment de la fantaisie. Plusieurs candidats se rejoignent pour envisager une extension du recrutement des professeurs: l'un d'eux veut en recruter 4 à 5 000, un autre 40 000, un autre 60 000. Comment interpréter de telles distorsions? De deux manières différentes dont aucune ne sera à l'avantage des candidats: soit ils avancent des chiffres en l'absence de toute évaluation des besoins réels, soit les chiffres sont à usage de campagne: il faut faire de la surenchère pour apparaître comme le mieux-disant scolaire. Les orientations de la politique scolaire dans ce cas sont alors tributaires d'un clientélisme électoral et la démagogie s'installe.

En achevant ici cette description évidemment incomplète nous pouvons rassembler quelques impressions générales inspirées par la lecture des programmes scolaires des postulants à l'élection présidentielle. En premier l'aspect brouillon, disparate, de propositions juxtaposées plutôt que reliées entre elles au service d'une vision forte.

Ensuite l'intuition d'une formulation exécutée dans la hâte, sous le coup de l'opportunisme (que faut-il répondre maintenant que tel de nos concurrents a pris cette position?).

Peut-on imputer ces défauts à une faiblesse intellectuelle de leurs auteurs? Ce sont des candidats rompus à l'exercice du discours politique au plus haut niveau et ils disposent de l'appui de conseillers experts et de groupes de réflexion actifs et entraînés. D'ailleurs, s'agissant d'autres domaines du programme présidentiel les qualités de construction réapparaissent.

Il nous faut chercher dans une autre direction l'explication du niveau très modeste de ces programmes éducatifs. D'où l'hypothèse suivante: le thème scolaire s'est éloigné du centre de la préoccupation politique, les candidats ne le tiennent pas, actuellement, comme important. Certes, ils ne peuvent pas l'ignorer; d'abord parce que c'est une figure imposée dans la compétition (il faut obligatoirement « plancher » sur cette matière), ensuite, étant donné le caractère polémique, inflammable de ce sujet, on ne peut pas se montrer ouvertement indifférent.

Ils le traitent donc avec les apparences de la gravité mais sans trop y croire, d'où le résultat superficiel observé.


Date de création : 03/08/2017 @ 15:47
Catégorie : ACTIVITES - La politique de l'école
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