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Les exigences envers les élèves: trouver le bon dosage.

 

 

La réflexion présentée dans les pages qui suivent ne porte pas sur les principes (faut-il ou non se montrer exigeant à l'école?). Elle n'aborde pas davantage les contenus (que faut-il exiger?) Elle ne s'inscrit pas non plus dans l'affrontement continuel entre deux visions de l'éducation scolaire, l'une plutôt permissive et tolérante, l'autre sévère, qui se reprochent réciproquement l'excès ou le défaut d'exigence. Autant prévenir tout de suite qu'on ne débouchera pas sur une incitation à se ranger dans l'un de ces deux camps.

 

Notre recherche est induite par la convergence de nombreux témoignages apportés dans nos groupes d'analyse de pratiques au sujet du « bon usage des exigences ». Ces expériences de métier, rattachables à la notion d'exigence sont diverses.

 

Une première expression en est fournie par une sensation de lassitude pouvant frôler l'épuisement en raison d'efforts toujours plus grands pour parvenir à « tenir la classe » ainsi qu'à maintenir un nombre important d'élèves dans un champ minimum d'attention et d'activité.

Une deuxième formulation tient dans le constat d'un décalage très important entre l'investissement de l'enseignant dans son élaboration pédagogique (préparation de classe, documentation, mise au point de nouvelles techniques) et la modestie, éventuellement la minceur des résultats. L'exigence comme conscience professionnelle n'est-elle pas alors excessive?

Les comportements d'abandon, de renoncement, de décrochage de toutes sortes, observés chez un nombre important d'élèves, nous confrontent également au bien-fondé de nos exigences. Il apparaît assez clairement que celles-ci n'opèrent plus au-delà d'une certaine limite de retrait d'un élève.

Le quatrième témoignage amène de plus en plus souvent les enseignants à se demander s'ils ne sont pas les instruments d'exigence situées en dehors même de l'école. Les familles n'auraient-elles pas sur-investi les capacités de l'école concernant la réussite de leurs enfants? La société toute entière par l'intermédiaire de l'administration ministérielle ne dépasserait-elle pas le raisonnable en décrétant la réussite pour tous?

 

Le champ de la réflexion sur les exigences à l'école s'étend considérablement à partir de là et si nous nous plaçons ne serait-ce que du point de vue de l'enseignant, trois questions très vives se posent à lui: jusqu'où peuvent aller mes exigences à l'égard des élèves et notamment des moins avantagés d'entre eux? Que dois-je exiger de moi-même qui ait une utilité, une efficacité pour les élèves? Que puis-je faire sous les injonctions extérieures qui exigent d'atteindre des résultats que j'estime hors de portée?

 

Pour apporter des réponses à ces trois questions, on s'accordera plusieurs étapes. Au départ on observera les différences entre les exigences que la société fait peser sur l'école et celles que les enseignants identifient comme venant de leur personnalité.. Ensuite seront décrits les effets négatifs que des exigences excessives entrainent soit pour les élèves, soit pour le professeur. La partie qui suit présentera les arguments propices à relativiser les exigences d'où qu'elles viennent de façon à se trouver en mesure d'exercer son autorité éducative et de définir des objectifs raisonnables.

 

Les deux grandes sources de l'exigence envers les élèves.

 

La première se présente extérieurement à ce que vivent conjointement les élèves et les professeurs: c'est du dehors, par la grande voix sociale que se prononce une injonction: tous doivent réussir et si possible en tout.

Quelques slogans devenus familiers sont diffusés sans trêve depuis quelques décennies: « réussite pour tous », « éradication de l'échec » ou plus astucieusement « échec à l'échec ». Ces formules sont très évocatrices de ce projet sans limites que se sont donné le corps social et les responsables politiques presque unanimes. Ces derniers ont-ils fait croire au plus grand nombre qu'ils détenaient les clés de ce succès possible ou bien, à l'inverse, la pression égalitariste générale s'est-elle imposée aux cadres qui nous dirigent? Il sera nécessaire, dans une autre réflexion, de rechercher les responsabilités à ce sujet et de faire apparaître leur composante démagogique.

Cette réussite intégrale est envisagée en principe à tous les niveaux et pour tous les domaines d'apprentissage. On se reportera, pour illustration, aux chiffres fixés pour l'obtention du baccalauréat et l'accès à un diplôme de l'enseignement supérieur. Mais l'exigence vaut aussi pour les segments précédents du cursus: le pourcentage de reçus au brevet des collèges est très élevé, le nombre des accédants en sixième de collège encore plus. Cette sommation de réussite descend jusqu'à l'école maternelle où l'on n'hésite pas à fixer des performances pour la totalité de classes d'âge comme les trois ou quatre ans. L'essor des pratiques d'évaluation à l'école primaire est corrélatif de cette entreprise de marche forcée au succès. Ainsi s'explique la méfiance très partagée, sinon l'hostilité, d'un grand nombre de professeurs des écoles à l'égard de cette surveillance dont ils s'estiment l'objet à travers ces dispositifs souvent encombrants. La présentation de ces évaluations sous des aspects enjolivants comme le « pilotage » de l'action scolaire ou l'aide à l'amélioration de la technique pédagogique ne convainquent guère.

A partir du moment où les résultats sont en retrait par rapport au but idéal fixé – et c'est le cas le plus souvent – l'échec est interprété comme une incapacité de l'école et de ses agents. On se dispense du ré-examen de l'objectif (était-il réaliste?) et on opte pour une explication en termes d'insuffisances de méthode, de qualité du matériel didactique, de formation, de conviction pour se « moderniser ».

 

La seconde source d'exigence est intérieure à chaque enseignant et c'est au cas par cas qu'il est légitime de se prononcer sur sa bonne mesure ou sur son excès.

Au départ de toute situation scolaire, la norme est présente. Elle fixe un niveau à atteindre pour tous. De ce point de vue un degré « moyen » ou normal d'exigence se conçoit. Inversement en raisonnant « par l'absurde », le degré zéro de l'exigence aboutit à supprimer toute possibilité d'enseigner.

L'exigence « moyenne » ou normale est un principe, abstrait. Dans la réalité les enseignants se situent de manière dispersée plus ou moins en deçà ou au-delà de cette fiction. Certains peuvent se maintenir sans peine à proximité de cette moyenne, d'autres vont s'éloigner soit en défaut, soit en excès. L'accentuation que nous connaissons des échecs dans les apprentissages va jouer comme « écarteur » par rapport à une exigence moyenne. Tel professeur va estimer devoir se montrer plus exigeant, au sens de plus pressant, en constatant des baisses de niveau; d'autres pourront être tentés de réduire ces exigences en se disant qu'elles sont, de toutes façons, sans effet.

Il revient à chacun de se repérer dans ce double mouvement, d'essayer de se situer dans sa tendance puis de la contrarier quand on pense qu'elle est trop forte.

 

Les effets nocifs des exigences mal contenues.

 

S'agissant de l'éducation familiale, il existe depuis longtemps une sensibilité aux effets négatifs d'une éducation rigide. Concernant l'école, cette préoccupation existe mais se trouve contrariée par la force de l'ultimatum social: « diplômez nos enfants, vite et bien et sans exceptions ». le consensus autour de cet objectif pousse à ce qui se désigne aujourd'hui comme « la pression scolaire » quitte à sous-évaluer les inconvénients qui en découlent, spécialement pour la tranche d'âge qui fréquente l'école primaire.

Commençons par mesurer les effets sur l'enseignant lui-même d'une exigence démesurée lorsqu'elle s'impose de l'extérieur et devient « officielle ». Il en résulte une dissociation entre ce qu'il connait des possibilités des élèves et une représentation idéalisée (un surmoi) de ce qui devrait être atteint. On doit subir cet écartèlement en donnant l'impression qu'il n'a pas lieu. S'installe alors, involontairement, une imposture. La tricherie survient sans état d'âme au niveau de la collectivité nationale lorsque l'on a annoncé longtemps la « montée du niveau » tandis que les enseignants n'ignoraient rien du reflux lent et silencieux des performances de leurs élèves.

Un malaise plus intense se fait jour lorsque nos collègues retournent contre eux les échecs constatés. Ils glissent vers l'auto-dépréciation alors même qu'ils consacrent une énergie très importante à leur travail. Le cœur du métier, dans des conditions qui ne sont pas altérées par l'hyper-exigence, réclame déjà beaucoup d'efforts, le surplus de dépense occasionné par cette démesure des attentes pourrait vraiment nous être épargné.

Poursuivons par l'observation de ce qui est provoqué cette fois par les exigences tyranniques que telle ou telle personne s'inflige toute seule. Quiconque ne peut jamais être contenté va basculer facilement dans des conduites de classe rigides dictées par la volonté de tenir par la force les élèves en état d'activité. Le risque d'appauvrir ses techniques est réel car seront proscrites les activités qui laissent de l'autonomie, que l'on ne peut pas contrôler directement; On s'arrangera pour raccourcir les phases de recherche de tâtonnement et d'échange entre les élèves. L'action éducative globale (socialisation des élèves, apprentissage des responsabilités) paraitra secondaire et même sera considéré comme du temps précieux soustrait aux « programmes ».

A vouloir obtenir rapidement des résultats visibles et quantifiables, on façonne la technique d'enseignement selon cette visée. Ce qui se traduit par des effets de rythme mécaniques, par beaucoup de temps consacré aux exercices d'entrainement et aux contrôles. Parallèlement la relation entre le maître et l'élève se rétrécit. Chaque élève occupe dans l'esprit de son professeur une place quantitativement définie par son degré de réussite ou l'importance de son échec.

 

Que provoquent pour les élèves, maintenant, les exigences trop élevées? Déjà prenons la précaution de reconnaître que les effets seront fonction de certains traits de sa personnalité. Notre considération sera ici d'ordre général, on considèrera un élève ordinaire surexposé en permanence à cette sollicitation.

Les élèves de notre école élémentaire sont des enfants jeunes et inaptes à se représenter ce qui leur arrive quand on leur en demande trop. Ultérieurement, avec l'adolescence, nous savons bien comment ils se défendent: ils annexent les exigences de l'école à la collection des objets de leur rébellion et en produisent un rejet dans lequel ils retournent habilement la situation: « c'est débile ce qu'on nous demande ». Cette attitude n'arrange en rien leur scolarité mais leur procure un grand soulagement.

Nos jeunes élèves sont encore dans une confiance très grande par rapport aux adultes et ils en attendent protection et sécurité; amour même. La présentation par ceux-ci de buts très élevés à atteindre les met en état d'incompréhension. Ils ne tracent pas de lignes pouvant relier ce qu'ils pensent pouvoir faire à ce qui leur est demandé. De plus ils redoutent la perte d'amour qui est entrainée par l'incapacité de répondre à la demande de l'adulte.

Leurs réactions prennent alors des formes variées, suivant la pente de leurs tendances dominantes, de leurs structures prévalentes:

    • évitement, fuite, substitution, (faire autre chose que ce qui est demandé).

    • agitation devant la demande, brusquerie des gestes, grimaces, bruitages...

    • renforcement de la conduite d'échec: en faire toujours plus pour rater encore mieux.

 

Comment se délivrer des exorbitantes exigences sociales de réussite scolaire?

 

Cette possibilité relève d'une conversion: il faut renoncer à une représentation politiquement correcte, aimable, de l'école; abandonner une image idéale du métier et admettre que notre emprise sur les élèves a des limites. Trois changements d'attitude sont alors exigés:

    • les résultats scolaires ne dépendent pas que de la volonté de l'école ou du talent des enseignants.

    • La demande de réussite n'est pas que l'exigence morale qu'elle prétend être. Elle dissimule une idéologie égalitariste mécanique.

    • L'échec scolaire est souvent un symptôme, un contenu manifeste, visible, engendré par des accidents du développement chez un enfant. Nos ressources existent mais peuvent s'avérer inadéquates ou très limitées.

La reprise explicite de chacun de ces trois points fera éprouver l'importance autant que la difficulté de la conversion à effectuer.

 

Premier point: le résultat scolaire n'est pas produit par la seule action pédagogique. Il est le résultat d'une interaction. C'est un produit comme on l'entend en mathématiques: le produit de deux nombres. Cette équation, reçue dans sa forme logique, ne devrait pas soulever d'objections. D'où vient son oubli?

Pour une bonne part de l'illusion de puissance conférée à l'action pédagogique par la considération techno-scientifique en éducation. Nous sommes progressivement passés d'un relativisme raisonnable (faire mieux en perfectionnant nos outils) à une ambition totale (nous devons trouver les moyens de tout faire apprendre à tous). L'échec est, dans ce cas, considéré comme l'indice de l'imperfection technique (il faut y remédier) et comme un défaut de productivité de l'appareil scolaire (réformons-le).

Pourtant si le résultat est bien le produit de deux volontés, sauf à postuler que celui qui apprend en est totalement dépourvu ou bien qu'on lui dénie le droit de la manifester, nous sommes forcés d'admettre l'absence de proportionnalité entre l'effort du maître et le succès de 'élève pris individuellement.

Cette proposition n'a rien de scandaleux et l'expérience de cette limite est éprouvée par tous les enseignants sans exception. Si l'on veut s 'amuser à l'illustrer dans la perspective favorable, l'élève qui réussit très bien, reportons-nous aux multiples témoignages dont la formule la plus fréquente est « il apprend sans moi, avec quelqu'un d'autre ou même avec personne, ce serait pareil ».

Si les faits que nous présentons sont bien connus, on préfère pourtant ne pas les divulguer, car leur propagation rendrait fragile et suspecte une autre prétention: celle d'égaliser par le haut les résultats de tous.

 

Second point: démasquer un égalitarisme abstrait derrière l'exigence de réussite pour tous.

 

L'idée s'est répandue que l'échec scolaire de certains élèves serait une offense à l'égalité: quelle sorte d'égalité? Les hommes politiques qui fondèrent l'école obligatoire, gratuite et laïque se sont soucié d'égalité. La suppression de la discrimination par l'argent, par l'accès proche au lieu d'instruction, par le recours ou non à des maîtres formés, par l'accueil dans des locaux salubres ou dégradés, traduisait la volonté de placer tous les citoyens à égalité quant à la possibilité de s'instruire. L'obligation venait couronner le projet en interdisant la possibilité de s'y soustraire. Cette entreprise, très ambitieuse pourtant, a été possible au sens d'accessible à la volonté humaine.

Décréter l'égalité des résultats des élèves présente une grande différence: elle présuppose une emprise possible, et très forte, sur la volonté, l'état d'esprit, la personnalité profonde de celui qui apprend. On présuppose que tout ce qui détermine l'échec d'un élève nous est connu puis accessible, puis enfin modifiable. Une croyance à la maitrise intégrale de ce phénomène pourtant très complexe que constitue l'apprentissage débouche alors sur la décision de passer en force. La nature des résistances de l'élève n'est même pas envisagée et encore moins l'intensité de ce refus. « Il faut », « ce doit être » répète-t-on selon un automatisme plus velléitaire qu'éclairé.

 

 

 

Troisième point: l'échec scolaire conçu comme symptôme nous met devant des limites.

 

La présentation du symptôme d'échec à l'école sera raccourcie; le mécanisme sous-jacent très complexe, oblige à des développements que nous ferons ailleurs.

Le but ici est de modifier, déplacer, renverser peut-être l'interprétation de l'échec considéré comme insuffisance de l'école dans le discours idéologique de la « réussite totale ». Nous souhaitons attirer l'attention sur la participation de l'élève à sa difficulté, sans aucune notion de culpabilité à l'arrière-plan.

Résumons, vraiment au plus court, ce qui se passe dans l'échec à l'école comme symptôme: un enfant perturbé dans son développement en raison de sa vie passée ou actuelle, de ses relations compliquées avec ses proches etc... va signifier son trouble, sa souffrance, son incompréhension à travers ses apprentissages, notamment scolaires. Dans le symptôme il y a déplacement, substitution, transformation entre la source et le résultat. La source se situe dans des émotions, des dérangements conscients ou non qui ont eu lieu dans la vie familiale. Le résultat se produit par exemple dans l'apprentissage de la lecture, la mémorisation impossible, l'agitation qui empêche la concentration, les mauvaises relations avec les camarades etc...

Cette manière de comprendre un nombre important de ratages scolaires commence à être connue. Elle est d'ailleurs le point de départ de nombreuses techniques de psychothérapie et de ré-éducations. Cela ne fait pas qu'elle soit bien reçue et que quand elle l'est, elle aboutisse toujours à des remèdes efficaces.

Ce qui dérange en effet les adultes concernés (parents, enseignants mais aussi ré-éducateurs) c'est le déplacement, le fait qu'un comportement vienne à la place d'autre chose. Cela suppose une vie psychique soumise à des effets dynamiques très spéciaux et non apparents.

La réaction des adultes reste souvent dans une oscillation interprétative entre « il ne peut pas » (carences) ou « il ne veut pas » (rébellion). Ce qui induit des mesures éducatives ou pédagogiques de réparation ou de forçage; parfois un composé des deux tentatives.

Ce déplacement d'une cause latente à une expression manifeste nous ouvre à une meilleure compréhension de la résistance opposée par certains élèves à nos efforts pour les aider. Nous avons tous connu des élèves qui consacrent une énergie considérable à ne pas apprendre, alors même que les mesures des possibilités cognitives sont favorables. Un enfant peut alors mettre en échec l'enseignant avec pour seul motif (inconscient) de maintenir son symptôme.

Quelles indications pédagogiques et éducatives peut-on avancer dans une telle configuration? En dépit des obstacles que nous identifions, il est raisonnable et cohérent avec la situation de préconiser certaines attitudes.

    • la première proposition tient au renoncement à passer en force. Ce qui n'est pas synonyme d'abandon. L'abandon pourrait être considéré comme l'envers d'un passage en force: « je laisse tomber puisque la force n'y fait rien ».

    • La seconde indication: manifester à l'élève que l'on sait, que l'on devine, ce qui se passe pour lui. Autrement dit reconnaître son symptôme. Cela se traduit par une attitude discrète, sans interprétations lourdes, mais avec des formules simples qui traduisent le fait que l'adulte sait que ce type de difficulté existe, que ce n'est pas facile à aborder ni à résoudre.

    • La troisième se rapporte à une sorte de convention, de contrat, engageant aussi bien le maître que l'élève: « je peux quelque chose pour toi, mais pas tout. Je peux continuer à te considérer comme un élève, t'expliquer, te donner du travail,, contrôler et corriger ce que tu fais ».

    • Une autre attitude, très utile, consiste à rappeler les limites: « je ne peux pas t'obliger, toi-même tu n'arrives pas, ou pas bien, « à vouloir ».

    • Enfin, l'enseignant rappelle qu'il a des obligations par rapport au groupe d'élèves: « je dois t'empêcher de déranger la travail des autres et le mien ».

 

Est-il possible de se soustraire aux exigences excessives venues de soi?

 

Le seul fait de poser cette question laisse entrevoir, dès le départ, de sérieuses limites. La première tient à ceci: rares sont les personnes qui reconnaissent entrer dans ce cas. En tous cas, ceux qui en sont conscients sont moins nombreux que ceux qui l'ignorent. La consultation du dictionnaire nous aide à préciser ce profil: « maniaque, tyrannique, intraitable, insatiable... » figurent parmi les synonymes les plus expressifs. On comprendra la réticence éprouvée à se ranger sous de telles étiquettes!

En observant de plus près ces termes, trois caractéristiques de l'hyper-exigence se manifestent: le fait de mettre le détail avant l'essentiel (maniaques), l'abus de pouvoir (tyrannie) et la conscience malheureuse que l'on devine derrière le tempérament insatiable (jamais content).

 

Pourquoi est-ce difficile de s'en rendre compte?

Nous travaillons en solitaires, chacun dans sa classe et seuls devant notre préparation ou en corrigeant les travaux d'élèves. Nous n'avons que très peu d'occasions de mesurer nos attentes à celles de nos collègues. Nous travaillons avec des enfants: ceux-ci en état de dépendance devant l'adulte ne sont pas aptes à nous dire qu'on en « demande trop ». On peut comparer avec d'autres contextes où les adultes travaillent en commun; ce n'est pas parfait et on sait que la pression peut y être très haute, mais des objections peuvent tout de même être formulées.

 

Comment nos élèves réagissent-ils à nos excès d'exigence?

Ce qui caractérise la conduite des enfants en but à ces passages en force c'est le fait qu'ils ne « savent » pas qu'un adulte peut être abusif. Ils ont besoin de lui et sont dépendants. Ce qui ne les place pas en position de ne rien ressentir. Ils éprouvent l'aspect excessif de la demande et doivent trouver des solutions des exutoires, des échappatoires, des façons de dire « c'est trop » mais sans le dire! La réaction est déplacée, transformée, symptomatique. On cite à ce sujet des cas de phobie scolaire, de dérangements physiques (maux de ventre), pour les cas les plus spectaculaires.

Mais d'ordinaire les réactions sont plus adaptatives: on reste là mais en se protégeant. En évitant la rencontre avec l'adulte, en le fuyant; on ne lui demande rien, on répond évasivement à ses sollicitations, on fait « autre chose » que ce que l'on pense ne pas savoir faire, on fait semblant. On peut mentir. C'est ce qui se produit quand on prétend avoir fait seul un exercice copié sur le voisin.

On mentionnera aussi les formes ouvertes de rébellion: refus verbaux, conduites corporelles agitées, bruits et cris, dégradation du matériel.

La difficulté devant ces comportements c'est de savoir si nous sommes au point de départ en raison de notre exigence trop grande ou si l'élève poursuit dans le cadre de l'école un déploiement symptomatique déjà actif à la maison.

Un enseignant qui se trouve dans ce cas a intérêt à savoir, en s'aidant des entretiens avec la famille, si les parents sont concernés de la même façon ou pas. Il existe des enfants qui arrêtent leurs démonstrations à la porte de l'école et d'autres qui dominés par les automatismes, s'installent dans la répétition en tous lieux. C'est alors que l'enseignant concerné peut éviter de soutenir, de relancer ces comportements. Ce sera moins difficile 'sil peut prendre des distances lui-même par rapport à ses exigences.

 

Qu'est-ce qui peut aider un professeur à mesurer ses exigences, à les relativiser?

Il n'existe pas de remèdes efficaces à l'hyper-exigence lorsqu'elle est ancrée dans la personnalité; les suggestions qui vont suivre ne sont applicables qu'à des personnes en mesure de prendre déjà quelques distances.

En premier lieu, s'efforcer en permanence de mesurer l'adéquation ou l'écart entre les efforts pédagogiques engagés et les effets obtenus. A partir du moment où, en dépit de nos sollicitations accrues, les élèves n'obtiennent pas de résultats supérieurs, il est nécessaire de faire une pause, de réfléchir et de diminuer la pression que nous exerçons.

Ensuite, l'échange avec les collègues est toujours très éclairant sur nos exigences. Il prend différentes formes. Situé au plan de la préparation, il aide à formuler des objectifs raisonnables pour un niveau donné du cursus. Concernant la vie scolaire (niveau sonore, déplacements, pratique des sanctions, autonomie, responsabilités) les discussions avec d'autres collègues sont efficaces. Lorsque nous nous demandons jusqu'où tenir des exigences envers des élèves déjà connus pour des attitudes scolaires compliquées, des mises au point avec des collègues qui les ont déjà connus sont très utiles.

Un enseignant qui se pose des questions à un niveau très global sur le degré d'exigence convenable peut faire appel à un regard extérieur (conseiller pédagogique, inspecteur). Nous évoquons prudemment cette voie car ces fonctions ne sont nullement à l'abri d'erreurs de jugement dans le domaine qui nous préoccupe.

 

Une démarche critique portant sur les changements historiques du degré des exigences éducatives s'avèrerait aujourd'hui le meilleur antidote à des tentations extrémistes. La tendance permissive qui s'est imposée depuis quelques décennies a attiré de nombreux adeptes autant qu'elle a rendu suspects les pédagogues sévères. Ce mouvement de la libéralisation de la relation éducative fait présentement l'objet de doutes. C'est une bonne nouvelle pour la reconstruction d'une doctrine éducative équilibrée mais diverses réactions sont prévisibles. Elles jouent éventuellement dans les directions opposées: zèle à soutenir l'orientation permissive et raidissement dans une contre-offensive hyper exigeante pour rattraper le temps perdu! Chacun peut se proposer d'une part de prendre position dans cette nouvelle configuration, mais d'autre part –et c'est essentiel- de ne pas brutaliser l'histoire. Les replacements seront lents et progressifs et chacun sera confronté à la patience et à la mesure.

 

 

 


Date de création : 15/11/2014 @ 16:32
Catégorie : ACTIVITES - La difficulté scolaire
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