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Fausse manœuvre de mon stagiaire: quand et comment intervenir?


 

Dans le groupe d'analyse de pratiques des formateurs (AAPIE) la question est formulée dans une tonalité de préoccupation qui laisse deviner l'embarras et sans doute un conflit interne.

Présentons déjà la situation qui se présente à l'origine du souci.

Le constat qui alarme la formatrice ne porte pas sur une insuffisance de technique quant à la conduite de classe; il concerne un « état » du groupe d'élèves. Ils sont bruyants, de plus en plus agités sans que cette turbulence décide la stagiaire à intervenir.

La formatrice poursuit le récit en insistant sur le fait que les élèves sont beaucoup plus agités que d'habitude. Mais immédiatement elle se rétracte et exprime l'idée que tous les enseignants n'ont pas la même tolérance (le même « seuil », dit-elle) par rapport au bruit et à l'agitation des élèves.

Elle complète son témoignage en en mentionnant qu'à la reprise de la classe il lui faut consacrer beaucoup d'énergie pour ramener les élèves aux usages habituels (les « reprendre en mains »).

Elle développe ensuite, longuement, son embarras face à ce déroulement. Plusieurs composantes se cumulent dans sa gêne:

  • une incertitude sur le jugement à porter quant à l'absence d'intervention de la stagiaire: elle ne sait plus très bien si les élèves avaient dépassé les limites ou s'il est préférable de penser que la stagiaire faisait preuve d'un bon niveau de tolérance au bruit.

  • Une hésitation sur la pertinence d'une intervention: sur le moment, la formatrice était très gênée, elle aurait voulu mettre fin au débordement mais peut-on se permettre, sans dégâts, d'arrêter un stagiaire. Ne vaut-il pas mieux attendre la fin du cours pour formuler des observation? Mais des contradictions s'accumulent ici: dans ce cas, on laisse la classe en état de surchauffe avec des risques de dégradation.

  • Enfin, même en admettant une intervention après-coup, comment l'effectuer pour qu'elle soit utile, efficace et que stagiaire ne soit pas buté, vexé, déstabilisé mais saisisse l'occasion d'un progrès?

On reconnaitra dans cette description un cas très évocateur, très sensible de formation. Le formateur peine à asseoir son autorité faute de pouvoir s'accrocher à des repères dont il serait certain et court finalement le risque double de l'inertie face à son stagiaire et de l'inaction devant la détérioration probable de sa classe.


 

Pour réduire ces risques nous allons nous appliquer à un examen minutieux des objections intérieures que le formateur se crée et nous tenterons d'avancer quelques principes peu contestables qui permettent de s'extraire de cette situation ambigüe.


 

Agitation des élèves, bruit et « degré de tolérance ».


 

Observons une coïncidence: à un moment de l'histoire de l'école où l'on s'accorde sur l'accroissement de la turbulence et du niveau sonore dans les classes, se présente l'idée d'un seuil de tolérance. En quelque sorte, un problème que l'on aurait avec bon sens situé du côté des élèves (ils sont agités et bruyants) bascule du côté des enseignants (ils ne supportent pas bien).

Le mot « tolérance » joue ici sa partie. Cette ancienne vertu est citée aujourd'hui en toutes occasions, et malheur à qui n'est pas tolérant puisqu'il faut l'être à tout! Ce qui complique le cas des enseignants qui trouvent les élèves trop bruyants. A la limite donc, que les élèves fassent du bruit ne doit pas choquer, que certains professeurs ne le « tolèrent » pas devient condamnable.

Nous ne prendrons pas de gants pour dénoncer la position anti-éducative que sous-tend cette dérive. En effet le rôle de l'enseignant n'est pas de s'adapter au bruit de ses élèves mais à l'inverse de réguler ce bruit à un niveau compatible avec l'enseignement puisque – on est bien d'accord – les élèves sont d'abord là pour apprendre.

Les exigences de l'apprentissage, plus précisément les conditions qui le permettent, fixent d'ailleurs le niveau sonore à un degré assez bas, on le sait. Il faut bien que toute intervention orale individuelle (maître ou élève) soit entendue de tous, ce qui exige un fond de silence. Le travail écrit individuel d'autre part ne s'accommode pas d'un bruit de fond qui fait chuter la concentration.

Le soi-disant « niveau sonore » ne peut donc, en toute logique, être déterminé qu'en fonction des nécessités scolaires et sûrement pas considéré comme une variable psychologique ou caractérielle du professeur.

Que tel enseignant soit moins sensible qu'un autre au bruit excessif (ce sera valable dans la classe mais aussi ailleurs) ne change rien à ce que nous avançons. A partir de là la responsabilité de l'enseignant est de s'attacher à obtenir un niveau optimal qui lui permettra d'avoir devant lui des élèves. Il n'a, en tous cas, aucune raison objective de se culpabiliser face à des élèves bruyants. A supposer que Madame X soit pourvue d'une oreille sensible, c'est tout de même elle qui « fait la classe » et personne de plus « tolérant » ne viendra faire le travail à sa place. Il lui revient donc de fixer les conditions dans lesquelles elle estime pouvoir faire son métier.

Une seconde objection au degré de tolérance s'impose dès que l'on se situe sur un plan éducatif concernant la capacité à se maîtriser, à se contrôler, à se contraindre que tout élève doit acquérir au meilleur degré possible..

Le contrôle du bruit ou du mouvement que l'on effectue va bien au-delà d'une nécessité fonctionnelle, il fait partie d'une aptitude à accepter des limites, à s'imposer un contrôle, à reconnaître les caractéristiques de la situation scolaire. De ce point de vue, un niveau sonore n'est pas égal à un autre et la norme n'est pas à situer du côté de l'acceptation de l'enseignant. Exiger des élèves le moins de bruit et de turbulence possible est cohérent avec le projet éducatif de les socialiser et de faire avancer leur maturation dans le sens du contrôle de soi.


 

Intervention du formateur: immédiate ou différée?


 

La pensée d'une intervention en urgence se présente à l'esprit, amenée par le constat d'une situation qui peut dégénérer. Elle est tout de fois combattue immédiatement par une force plus importante qui pousse à s'abstenir.

A la question « pourquoi repousser si fort l'idée d'intervenir sur le champ? » les arguments ne manquent pas:

    • une telle façon de faire pourra paraître brutale au stagiaire. Il sera déstabilisé, perdra de l'assurance.

    • Les élèves seront perturbés par cette intrusion, ils ne sauront plus vraiment qui est le maître dans la classe. Le stagiaire peut perdre son autorité.

    • On peut attendre que le stagiaire, quand il a fait fausse route, se reprenne et « corrige le tir ».

    • L'intervention immédiate est forcément brève, elle ne permet pas de fournir des éléments de compréhension. C'est une opération « commando » qui risque de ne pas avoir de valeur formatrice.

Chacun de ces arguments pris au singulier a sa valeur. Ce qui ne nous dispense pas d'interroger le formateur sur ses résistances à intervenir et à interpréter l'ensemble de ses objections comme une rationalisation face à une situation aussi difficile que déplaisante.

Ici nous devons renoncer à trancher de façon absolue et générale car les situations ne se ressemblent pas. Par contre nous pouvons aider à clarifier le problème en fournissant quelques éléments de méthode.

    • d'abord en distinguant les cas d'urgence de ceux qui peuvent attendre. Notamment en repérant des situations où le stagiaire commet une erreur didactique (technique) qui place les élèves dans une impasse. Ce type d'échec est inévitable pour un débutant (il vise trop haut, va trop vite, saute des étapes, propose une démarche trop abstraite, etc...). on peut même penser qu'il soit utile de laisser les choses aller à leur terme pour pouvoir ensuite repartir avec une bonne prise de conscience de l'échec et de ses possibles origines.

Inversement si la relation maître-élève est touchée dans son équilibre et que l'enseignant perd le contrôle du groupe, si l'anarchie s'installe (c'est systématique quand l'éducateur quitte sa place), l'intervention s'impose en urgence. Il ne s'agit après tout que de rétablir le cadre sans lequel nous ne sommes même plus dans un domaine éducatif.

    • ensuite en prenant toutes les précautions en amont. Avant même que notre stagiaire passe à l'action, il est très utile (et sécurisant pour tous les protagonistes) que le formateur – c'est son rôle – indique les modalités de ses interventions ou de l'absence de celles-ci: « je n'interviendrai pas tant que nous serons dans les maladresses techniques, dans les erreurs didactiques. Par contre si le contrôle du cadre vous échappe et que j'estime les élèves en insécurité, j'effectuerai les actes qui me paraîtront de nature à restaurer le cadre ».

      Cette démarche anticipatrice constitue un filet de sécurité et atténue grandement les effets déplaisants et déstabilisants d'une intervention. Elle place le formateur dans une situation de légitimité, réduit considérablement sa culpabilité.

    • Avec les élèves eux-même à partir d'un âge ou le message peut être reçu (cycle 3 sûrement), le formateur qui va confier sa classe à un stagiaire présente la situation en l'objectivant, en lui donnant du sens. Il ne cache pas que la classe sera faite par une personne qui « apprend le métier », que ce sera « différent », qu'il peut y avoir des surprises, qu'ils restent des élèves et que les règles de vie et de travail ne changent pas etc... Le formateur indique également quelques caractéristiques de son rôle dans des termes simples: il observe, devra donner des conseils et intervient si nécessaire. Certains collègues expriment des réserves sur cette approche explicite à l'égard des élèves. Ils pensent que ceux-ci ne sont pas concernés. En fait les enfants, même jeunes, perçoivent la singularité de la situation mais la confiance dans les adultes l'emporte et tant qu'il ne se produit pas d'incidents ils n'éprouvent pas d'inquiétude. Nous estimons qu'il n'y a pas d'inconvénients à présenter aux élèves le changement de situation à condition de parler sans excès de gravité en présentant les faits comme normaux.

    • L'intervention sur le moment doit être calibrée, non envahissante. Le formateur qui a repéré un risque, qui voit les signes d'un désordre, se manifeste avec une certaine discrétion, évitant les éclats de voix, les grands gestes, les déplacements répétés.. Il se lèvera et se dirigera vers un groupe d'élèves ou un élève perturbateur, interviendra pour ramener au calme, demandera à l'élève particulièrement déchaîné de venir s'installer à côté de lui, tout en faisant signe à son stagiaire de poursuivre la tâche commencée.

      Il est possible, dans certains cas, de faire un signe au stagiaire pour attirer son attention vers l'élève, la partie de classe, le groupe où l'on voit démarrer une turbulence. Dans les cas où les choses dégénèrent on cherche le moyen (signe, parole) de faire comprendre au stagiaire qu'il est temps d'interrompre l'activité et de passer à une nouvelle tâche.


 

L'intervention après-coup: réduire les blocages, permettre des évolutions.


 

Les mots « réduire » et « permettre » reflètent la prudence. La situation au cours de laquelle le formateur effectue sa critique (au deux sens positif et restrictif) est, par principe, difficile à manier et ses effets sont relatifs. On ne peut guère proposer au formateur des recettes qui procureraient un succès assuré. Il est, au contraire, tout à fait possible de le prémunir contre certains accidents. Nous mentionnons à ce titre un certain nombre de précautions.

  • il aura à l'esprit l'idée de la lenteur d'une formation professionnelle, de sa construction par étapes, avec des aller-retour, des « hauts et des bas ». Il se gardera d'accélérer et de brûler les étapes.

  • Pour cela il évite les bilans ou analyses sur le mode exhaustif. Vouloir pratiquer un inventaire complet conduit le formateur à simplifier et à surcharger. Le stagiaire en sort encombré, ne sachant plus par où commencer.

Le formateur en situation ne donne pas un cours comme on peut le faire dans l'établissement de formation. Il s'appuie sur ce qu'il a observé de significatif.

  • Pour apprécier l'activité de son stagiaire, il ne se réfère pas à des pratiques remarquables ou évoluées mais à des actes ordinaires, à des standards de la conduite de classe. Ce point est décisif et plus difficile à respecter qu'on ne le pense. On ne propose pas à un débutant l'excellence tout de suite; on l'aide à assurer des opérations fondamentales simples.

Dans le cas où le formateur a dû intervenir en urgence, l'entretien débute par l'approche de cet événement. Il est indispensable de libérer la suite en traitant d'abord le sujet qui pourrait l'hypothéquer.

Le formateur commencera par expliquer son intervention. Il évitera bien sûr de grossir les faits, ne parlera pas (sauf exception) de danger pour les élèves. Il insistera sur la remise en ordre, la restitution des repères qui vise une telle démarche. C'est son expérience dira-t-il qui lui permet de saisir le moment où les élèves dérapent. Il est normal, précisera-t-il, qu'un débutant ne soit pas forcément conscient de ces faits.

Il fournira ensuite des explications sur les causes qui ont conduit à la situation de détérioration. Il faut en effet sensibiliser le stagiaire aux détails ou aux enchaînements qui aboutissent à des états limites du groupe. Il peut se produire une suite d'erreurs, dont chacune n'est pas grave en soi, concernant la conduite de classe (durées et alternances mal appréciées). Cela peut arriver quand on s'est abstenu d'intervenir sur une petite transgression; l'action immédiate de l'enseignant aurait réglé le problème, sa passivité a encouragé un élève, un groupe, toute la classe à amplifier les faits pour voir « jusqu'où aller ».


 

L'intervention du formateur est bienveillante non pas parce qu'il est une personne gentille mais parce qu'il a une conscience vive des difficultés du métier. Il en connait les limites, il en vit les risques et sait que l'incident qui a eu lieu est susceptible de se produire sous sa conduite de classe.

Cette compréhension ne débouche en aucun cas sur un jugement laxiste de la conduite des élèves; on ne dira jamais « ce qu'il fait est bien, il faut le tolérer » mais « nous nous attacheront à ce qu'ils ne recommencent pas mais si cela se reproduit nous les arrêterons le plus vite possible ».

Le travail du formateur est , on le voit, délicat. Il doit tenir l'équilibre entre l'apport de conseils visant à construire la compétence technique de son stagiaire et le repérage pour celui-ci des conditions concrètes (historiques) dans lesquelles il intervient. Présentement, ces conditions mettent en relief la fragilité éducative, en tous cas et au moins, une disparité des élèves devant cet aspect.

A partir de ce constat le formateur doit vraiment se méfier d'un excès d'exigence pédagogique (techniques pour enseigner) et, inversement, accentuer la prise de conscience sur la nécessité de construire les conditions mêmes de l'apprentissage. Sa responsabilité devient véritablement éthique lorsqu'il entreprend de relativiser les objectifs en tenant compte des obstacles actuels à l'entreprise éducative.


Date de création : 07/11/2013 @ 10:22
Catégorie : ACTIVITES - Formateurs
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