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Construire la loi à l'école primaire: les moyens dont on dispose.


 


 

Qu'il s'agisse de caractériser de nombreux cas d'échec scolaire observés du point de vue de l'attitude des élèves ou de considérer la manière dont les enseignants expriment les difficultés du métier, nous sommes conduits le plus souvent sur un terrain qui appelle, sous différents mots (le cadre, les règles, les limites etc...), la notion de loi au sens le plus global.

Très nombreux sont en effet les élèves dont les apprentissages sont hypothéqués par la réticence sinon le refus devant les multiples contraintes que rend inévitables la scolarité. Quant aux professeurs, dès qu'ils commencent à évoquer leurs soucis professionnels, il est très rare qu'ils ne se plaignent pas de passer un temps excessif à maintenir la discipline et de déployer pour « faire le gendarme » des efforts tellement importants que l'énergie pour enseigner se trouve aussi réduite que le temps disponible pour le faire.

Nous ne pouvons pas non plus éviter de faire allusion à des inquiétudes sociales beaucoup plus globales qui se font jour autant dans la petite société familiale que dans la collectivité générale et qui sont relatives à une défaillance du « cadre », à une fragilisation des « repères », à des absences de « limites » d'un nombre toujours plus élevé d'enfants, d'adolescents, de jeunes gens. Toutes ces carences étant évoquées comme sources possibles de dérives antisociales (délinquance, incivilités, violences) ou de pathologies addictives.

Il est indispensable de saisir cet emboîtement du problème scolaire dans la question sociale globale car envisager de remédier aux dégradations manifestées dans l'école considérée comme un îlot ou un sanctuaire mènerait à de sérieuses illusions. Autrement dit, toute décision d'engager une action éducative dans le cadre scolaire, à ce sujet, se doit d'être accompagnée d'une vive conscience du contexte dans lequel on va opérer.


 

Notre travail ici va se centrer sur l'école primaire (maternelle et élémentaire) et s'appliquer à des enfants de trois à onze ans. Trois caractéristiques fortes vont peser sur l'action éducative scolaire visant à construire ou à consolider la loi.

La première tient à l'âge; nous nous adressons à des enfants jeunes, encore très fragiles et dépendants à bien des égards. Ce qui implique une responsabilité particulière des éducateurs ainsi qu'une conscience vive de se trouver sur un segment décisif pour la formation au long terme. Ce qui est rencontré à cette étape de la vie, en termes de limites, de valeurs, d'interdits et de « consistance » des adultes, va porter à conséquence pour toute la suite.

La seconde caractéristique apporte une modulation, un « bémol » à ce qui vient d'être dit: les enfants qui entrent à l'école – presque tous entre 3 et 4 ans – n'y arrivent pas sans avoir été déjà influencés, sans avoir reçu des orientations – qu'elles soient voulues ou pas - à l'intérieur du milieu familial. Il n'y a pas de contradiction entre nos deux premières caractéristiques mais un avertissement à l'intention de l'éducateur scolaire: les enfants qui entrent en scolarité sont aussi hétérogènes sur le plan qui nous intéresse ici qu'ils peuvent l'être (nous le savons très bien) dans le domaine culturel.

La troisième caractéristique résume des conditions encourageantes pour notre entreprise. L'école primaire offre un cadre favorable à la continuité, à la permanence, à la stabilité de l'action éducative. L'enfant qui y fait son entrée à l'âge de trois ou quatre ans y sera maintenu pendant des années sans dispersion dans l'espace, sans fragmentation dans le temps, en présence d'adultes eux-mêmes stables. Ces conditions de durée et de stabilité du milieu sont précieuses, elles ne se représenteront plus au cours des étapes ultérieures de la formation. Pour cette catégorie d'âge, le lien entre la famille et les enseignants offre également des possibilités (proximité, fréquence, simplicité) qui ne seront pas non plus retrouvées ultérieurement.


 

Nos propositions s'expriment dans un texte généraliste, ce mot est à entendre ainsi: nous mentionnons les bases, les principes ou encore les différents leviers de l'action éducative scolaire en tant qu'elle vise à installer et à étayer la loi en milieu scolaire. Les suggestions techniques ne seront pas présentées ici mais développées dans ce même domaine de notre site (Éducation scolaire).

Les « leviers » de notre action sont au nombre de trois: l'exercice de l'autorité, la compréhension du sens et de l'utilité de la loi, l'obligation pour les adultes d'incarner ce qu'ils veulent transmettre. Avant de préciser chacun de ces points, nous caractériserons la loi en milieu scolaire.


 

Quelques traits importants de la loi en milieu scolaire:


 

1/ La loi de la cité s'impose à l'école.

C'est un aspect qui oblige à la plus grande précision. Il ne faut pas entendre par là que les professeurs doivent copier la loi générale, celle qui touche les adultes, ni qu'ils endossent l'uniforme du policier ou le costume du juge. Cela veut dire que l'école appartient à l'espace public et relève de son droit. Ce n'est pas un sanctuaire où le gendarme n'entrerait pas et dont les tribunaux ne se soucieraient pas. L'écolier est une personne protégée par la loi collective et tout adulte qui estime (à tort ou à raison, on le sait) que des faits se déroulant dans l'école doivent être portés à la connaissance de la police ou des magistrats, est parfaitement libre de le faire. Ce rappel est très important pour les enseignants. D'une part ils en sont soulagés car ils n'ont pas à porter, à, prendre en charge n'importe quelle perturbation qui se produit dans l'enceinte scolaire. D'autre part leur responsabilité d'éducateur les oblige à préparer les enfants à se placer sous la loi générale.

Des incidents survenant fréquemment dans les établissements du secondaire illustrent bien ce que nous avançons. L'usage d'internet et des réseaux sociaux dans ses pires applications conduit des élèves à diffamer des enseignants et à persécuter des camarades. Il faut renoncer à une attitude angélique qui se bornerait à quelques débats de « sensibilisation » ou à des leçons de morale tout à fait inutiles. Le dépôt d'une plainte en bonne et due forme s'impose et donne les meilleures suites. Si, en parallèle, une équipe de direction et des professeurs dans la classe souhaitent s'emparer de l'événement à des fins de réflexion , on ne peut qu'approuver.

L'école, donc, ne fait pas sa loi. Sinon la résultante serait la création d'une zone de non-droit à l'intérieur de laquelle les adultes n'auraient pas le dernier mot.

Mais elle contribue, de manière essentielle, à rendre possible aux enfants d'approcher peu à peu la loi générale et de se ranger sous son autorité.

Pour atteindre ce but, la loi que l'éducateur scolaire installe se rapproche autant que possible de la loi générale. Elle est, certes, adaptée à l'âge, mais dans son esprit, elle demeure fidèle à l'esprit juridique. En tous cas, elle ne doit jamais être en contradiction avec la loi générale. Si, par exemple, la loi scolaire devenait trop permissive, laxiste ou trop « douillette », elle ne permettrait d'abord pas de maintenir dans l'école les conditions d'une activité studieuse. Mais, peut-être plus grave, elle rendrait l'enfant inadapté à se ranger sous la loi sociale. Il ne la comprendrait pas, l'éprouverait comme un obstacle que l'on renverse ou contourne.


 

2/ La loi scolaire pénètre la totalité de la vie scolaire:

L'école nous a habitués à diviser les apprentissages et à étiqueter chaque partie obtenue de façon à obtenir un domaine bien identifié. Nous enseignons l'orthographe, la géographie ou la géométrie. La tentation de créer un apprentissage de la loi, avec un programme dédié et un horaire imparti nous guette. Nous y sommes également poussés par une analogie: de la même façon que les codes juridiques encadrent la liberté sociale (codes civil et pénal) les différents règlements (d'école, de classe, de cour, de bibliothèque...) constituent l'appareil législatif de l'école. Il suffit de les promulguer et... l'affaire est conclue! La loi se présente à l'enfant qui devient écolier (la première fois puis chaque jour, insistons sur la persévérance) comme globale et concernant tous les aspects de la vie scolaire:

    • l'obligation d'être instruit (dans une école pour la quasi totalité des enfants) n'est pas la moindre contrainte.

    • La nécessité de devenir élève pendant le temps scolaire, d'endosser cette fonction (comme un métier) tous les jours. Et par conséquent de quitter les usages familiaux pour cette partie importante en quantité de sa vie.

    • La contrainte de la culture scolaire. C'est l'école qui décide de ce qu'il est bon de savoir et ce n'est généralement pas très proche de ce que l'on apprend à la maison ou dans la rue. L'obligation de se soumettre à l'évaluation est la conséquence de cette loi d'imposition culturelle.

    • On doit accepter de vivre et d'apprendre en groupe et même dans un groupe nombreux; Il est impossible d'accaparer l'adulte, de devenir le tyran d'un groupe, d'échapper aux sollicitations du professeur, d'exiger des privilèges etc... C'est tout cet ensemble de contraintes, d'obligations strictement incontournables qui produit ce caractère massif très autoritaire et irrémédiable de la loi scolaire. Les règlements que l'on fabrique, et la démarche pédagogique pour y parvenir est très vivante,ne sont que des matérialisations de la loi générale, des détails indispensables mais descriptifs ou évocateurs d'une obligation beaucoup plus vaste.


 

3/ La scolarité comme rituel de passage de l'enfance à l'état adulte.

Cette fonction jouée par l'école dans les sociétés dites développées, n'est pas très bien repérée, peut-être en raison de son évidence.

Les sociétés dites « primitives » font sortir les enfants de leur état à l'aide d'un certain nombre d'épreuves qui sont rituellement imposées à tous les jeunes du groupe à un moment donné. Il s'agit aussi bien de marquages emblématiques du corps avec des dons de parures, d'accès à l'usage d'armes ou d'ustensiles, d'entrée dans la pratique d'activités d'adultes (chasse, soins aux troupeaux), de cérémonies marquant la différence sexuelle (danses, accessoires vestimentaires).
Il semble que toutes les sociétés humaines, quel que soit leur niveau technique, aient besoin de manifester l'existence d'étapes, de coupures, d'accès à un nouveau stade pour les enfants; la maturation naturelle (biologique) étant insuffisante. Avant d'indiquer de quelle façon la scolarité participe à ce type d'opération dans notre société il est éclairant de mentionner la longue et persistante continuité d'usages sociaux, religieux ou non dans nos groupes. L'église catholique, à l'aide de sacrements à l'usage des enfants (communion première et solennelle, confirmation) a tenu un rôle très affirmé pour la très grande majorité des enfants, y compris dans des temps peu éloignés et dans des familles dont les pratiques religieuses étaient presque éteintes. On recenserait utilement un ensemble de rituels familiaux destinés à accompagner les moments du grandissement des enfants. Ceux-ci recevaient par exemple de l'argent de poche avec le droit de dépenser, l'a utorisation d'aller passer une nuit dans une autre famille puis de partir pour de brèves vacances avec des amis etc... Aujourd'hui même l'accès à la société adulte, à la reconnaissance du statut d'adulte, reste attaché à certains actes ou passages: exercer un métier rémunéré (après obtention d'un diplôme), vie en couple dans une certaine stabilité, mariage, avoir des enfants, habiter de façon autonome un logement etc...

Les derniers marquages que nous avons mentionnés sont de plus en plus tardifs alors que le segment dédié à la scolarité tend à s'allonger. Si on observe qu'à l'âge de quatre ans tous les enfants sont scolarisés, la durée de la « vie scolaire » est rarement inférieure à une douzaine d'années et souvent proche d'une quinzaine. Dans bon nombre de cas, supérieure encore.

Il en résulte une particularité de nos sociétés que la sociologie a bien relevé mais dont l'institution scolaire n'a pas tiré toutes les conséquences: l'enfant de trois à vingt ans n'a pour « épreuves » de maturation sociale que ce que lui propose l'expérience scolaire. Dit autrement, l'école se trouve, de fait, (et même si ce n'est pas sa première vocation) en situation de devoir effectuer ces opérations de passage.


 

L'exercice de l'autorité à l'école.


 

Notre société moderne, très éprise de liberté, mettant au-dessus de tout l'autonomie du sujet, se méfie de l'autorité. Comme, d'une part, se manifeste un souhait de réhabiliter la loi ou le cadre ou encore les limites dans l'action éducative et que, d'autre part, l'autorité est discréditée, nous nous trouvons dans une situation de paralysie, parfois d'impuissance. Le milieu scolaire n'est pas le seul à souffrir de cette impasse, l'éducation familiale la connait aussi, mais l'embarras de l'école est augmenté par la consécration de l'illusion selon laquelle l'habileté pédagogique ou le rayonnement personnel (charisme) pourraient suppléer à l'autorité.

Selon cette vision idéaliste, l'autorité n'est exercée (en dernier recours) que par des éducateurs qui ne savent pas faire mieux, qui n'ont pas su prévenir ni mettre en œuvre les stratégies nécessaires pour éviter d'en arriver là. Quelqu'un qui fronce les sourcils, hausse le ton et punit se fait souvent suspecter d'incompétence professionnelle! A moins qu'on ne lui attribue un dérangement du caractère

Nous n'hésitons pas ici à dénoncer cette perspective car nous la trouvons dangereuse pour l'existence même de la loi.

Celle-ci s'exerce sans considération de morale ou de psychologie. Elle est certes plus ou moins bien faite, mais une fois constituée et tant qu'elle n'est pas abrogée, elle s'impose. Et surtout, elle est imposée; on veille à son application. Et c'est là que l'autorité intervient, non pas en tant qu'excès ou pis-aller mais en tant que la loi, si belle qu'elle soit, n'a pas les ressources pour s'imposer seule. Ce n'est pas sa beauté, sa clarté, sa cohérence qui vont soumettre celui qui ne la comprend pas ou celui qui n'en veut pas et qui estime que sans elle ses plaisirs seraient infiniment supérieurs.

L'autorité de l'enseignant se présente non comme un talent individuel (inné) et pas davantage comme une habileté manœuvrière. Le professeur est obligé, en raison de la place qu'il occupe, de l'exercer. L'autorité relève de l'action permanente, c'est un travail. Elle mobilise beaucoup d'efforts et ne se relâche pas.

Tous les enseignants ne sont pas égaux quant à l'endurance requise par cet exercice, on s'en doute. C'est pourquoi il faut à la fois posséder la conviction et pourquoi éviter ce terme inattendu, s'entraîner.

Autre aspect étroitement lié à la loi et à l'autorité: la sanction. A son sujet nous pouvons rappeler le discrédit, la réprobation dont nous avons fait état précédemment. Celui qui punit encourt bien des jugements négatifs! Pourtant tous ceux qui se trouvent aux prises avec la construction puis la mise en œuvre de la loi savent que celle-ci ne va pas sans la force; « force doit rester à la loi » nous indique une formule aussi connue que peu méditée. La sanction accompagne toute législation, soit à titre dissuasif, soit pour faire payer, pour réparer le délit ou le crime.

Dans le monde éducatif la sanction, plutôt mal considérée, serait acceptable si elle est « éducative ». mais il faut bien se résoudre à sanctionner même si la solution ne se présente pas ou lorsque, mal interprétée par l'élève, elle n'apporte aucun effet. Les sanctions éducatives, dans la vie scolaire, existent. A chaque fois que le méfait peut être réparé (matériellement), nous ne devons pas hésiter à nous en servir. Par contre, renoncer à sanctionner en prétendant que nous n'avons pas trouvé la bonne solution de réparation, s'apparente pour des adultes à de la démission. Si l'impunité s'installe, la loi est pire que si elle n'existait pas; elle devient une imposture et favorise la perversion.

L'exercice de l'autorité, c'est là le point central, est constant et non ponctuel ou exceptionnel. Il engendre de la fatigue parce qu'il requiert un effort continu. Par contre, si la communauté des adultes s'affirme cohérente et soudée à ce sujet, l'effort est partagé, réparti; les inévitables défaillances accidentelles qui peuvent toucher chacun sont compensées. Il est certain que dans l'école actuelle, le manque de cohésion au niveau collectif fait peser sur certains une charge trop grande, voire les expose injustement.


 


 

Réfléchir au sens de la loi et à sa nécessité.


 

Avant de suggérer quelques directions de travail sur cet axe qui est le plus pédagogique de tous, il nous faut insister, quitte à provoquer des déceptions chez nos collègues, sur le caractère malgré tout secondaire de l'approche intellectuelle de la loi.

Le mot « construire » que nous avons utilisé dans le titre de ce texte pourrait laisser croire que nous attendons de l'élève qu'il construise la loi. Nous ne pensons pas que cela soit possible. L'existence de la loi précède toujours sa compréhension et sa justification puisque l'être humain qui vient au monde rencontre une loi déjà constituée et appliquée. Il entre forcément dans un univers façonné par la loi.

Certaines tentatives de la pédagogie moderne, très idéalistes, ont songé à « faire découvrir » aux jeunes enfants la loi, à obtenir qu'ils la recréent pour leur propre compte, comme si elle venait de l'intérieur. Ce n'est pas possible et la tentative comporte beaucoup de risques; Nous pouvons faire apparaître ceux-ci à l'aide d'une considération psychologique remarquable mais bien négligée; Du point de vue de l'économie psychique, en termes de « plaisir-déplaisir », obéir à la loi est beaucoup moins avantageux que de ne pas en tenir compte. Mieux: la transgression produit chez bien des sujets une incomparable jouissance. Le plaisir

les satisfactions immédiates et faciles ne sont certes pas du côté du respect de la loi.

Cette dernière, on le sait, comporte de puissants avantages: la protection, la sécurité, l'équité de traitement, la sanction adaptée, la médiation à la place de la vengeance directe, etc... toutes choses qui se placent du côté du principe de réalité. Mais en première approche, la loi n'est pas attirante.

C'est pourquoi, fondamentalement, elle est installée pour l'enfant et l'écolier par les adultes et l'institution. Sinon nous placerions les petits humains dans la jungle et aucun travail de culture n'aurait lieu.

Ce qui n'empêche pas la contribution de la réflexion et de l'intelligence. Mais cette seconde étape ne visera pas à faire croire à l'enfant que la loi est facile et qu'il n'y a qu'à l'imaginer telle. Ce qu'il s'agit de comprendre c'est l'équation finale: « la loi frustre mais protège; pour obtenir la sécurité, il faut renoncer à l'univers sans la loi de la toute-puissance ». La fameuse liberté, si précieuse aux hommes, n'est en fin de compte qu'un résidu: ce qui nous reste une fois la loi respectée. Cette première vérité, déjà difficile à admettre pour un adulte, n'est certainement pas à la portée immédiate de l'enfant dominé par l'égocentrisme.


 

Toutefois il entre bien dans les prérogatives de l'école de guider progressivement les élèves jeunes vers cette prise de conscience. Mais cette visée, intellectuelle quant à son but, devra être soutenue par des expériences sensibles car elle n'est pas accessible par une démonstration logique.

Cette expérience des conditions et des limites de la liberté, nous la puisons d'abord au plus proche de la vie des élèves; dans les péripéties de la vie scolaire, à l'intérieur de la vie sociale et familiale des jeunes enfants;

Nous la provoquons ensuite en installant dans l'activité de groupe-classe diverses occasions, supports, dispositifs qui accentuent la visibilité de la loi en tant que nécessaire. A l'aide débats et d'échanges organisés, par le biais de moments institués de régulation (conseils), au moyen de règles de travail et de vie organisés progressivement avec la participation des élèves, ils s'imprègnent des nécessités de la loi.

D'autres médiations, plus indirectes, offrent une approche de la loi: lorsque des personnages de récits, de contes, de films, d'albums se trouvent engagés dans des situations, des conflits, des impasses nouées puis dénouées, toutes circonstances rendant sensibles, sans la nommer forcément, la loi.

Les travaux de psychologues ou de pédagogues dégageant les vertus formatrices des contes et récits traditionnels sont suffisamment connus pour que nous ne nous y attardions pas.

Quand nos élèves prennent de l'âge, l'examen de faits divers de l'actualité sociale constitue des points de départs favorables à la réflexion. On parle, depuis quelques années, d'une initiation philosophique précoce. Même si les instruments pédagogiques n'ont pas encore été complètement élaborés, c'est bien à une telle démarche que nous pensons ici.

Les programmes de formation civique, explicitement présentés dans les textes officiels, enrichissent la connaissance des mécanismes sociaux et des institutions dont le rôle est de faire vivre la loi. Les ambitions, récemment affirmées, de promouvoir l'enseignement d'une morale laïque à l'école vont nécessairement croiser les préoccupations que nous évoquons ici.


 

Les adultes transmettent la loi en l'incarnant.


 

L'humour populaire a su trouver l'exacte formule quant à la responsabilité éducative des adultes dont nous allons traiter ici: « Faites ce que je dis mais pas ce que je fais ». ce trait amusant reçoit d'ailleurs son complément à chaque fois que l'on mentionne le « modèle » adulte ou « l'exemple » qu'il donne. C'est à tort et avec de pénibles conséquences que l'arrogance moderne se moque du « modèle » et de l'exemplarité en les qualifiant de notions périmées et en s'imaginant que la nouvelle éducation peut s'émanciper de cette sorte de dépendance.

L'élève ou l'enfant ne rencontrent pas la loi comme un objet physique indépendant non relié à quelqu'un. Il l'appréhende à travers toutes les personnes qui entrent en relation avec lui « en tant qu'adultes » et spécialement à travers es éducateurs les plus proches: parents, enseignants, professionnels, encadrant le loisir. Chacune de ces personnes entretient avec la loi une relation qui lui est propre et ajoutons, sans être nécessairement très consciente. Et c'est toujours de façon peu consciente que l'enfant accède au rapport que ses adultes de référence entretiennent avec la loi. Il sait d'emblée quel est leur degré de difficulté à ce sujet, il pressent leurs ambiguïtés.

Vu du côté de l'enseignant, il s'agit de mesurer l'écart entre la fonction et la personne. La fonction vise un certain idéal, la personne ne fait que ce qu'elle peut. L'obtention du diplôme requis pour enseigner ne fournit aucun surcroît de clarté personnelle dans le domaine qui nous intéresse mais confère des obligations supplémentaires! Si la relation qu'il entretient avec la loi est convenable, le métier lui sera beaucoup facilité car il n'aura pas à souffrir du grand écart entre ce qu'il est et ce qu'il veut transmettre. Si ce n'est pas le cas, on peut lui souhaiter de formuler les bonnes hypothèses à propos de l'origine des difficultés qu'il va forcément rencontrer. C'est toujours à travers des répétitions d'incidents et d'échecs que se manifestent les complications intérieures de l'éducateur. Mai nul n'est empêché de l'extérieur de vouloir y voir plus clair; il devient alors possible de faire reculer ses difficultés et d'étendre du même coup son efficacité éducative.

Ici, nous pouvons indiquer les masques, tentures ou paravents derrière lesquels un éducateur peut dissimuler un rapport tortueux à la loi. Il met en avant, dans tous les cas, des idéaux éducatifs.

Ainsi la personne faible se dira tolérante et compréhensive; une autre, tyrannique, prétendra incarner la fermeté. Quelqu'un qui veut dominer par la séduction se présentera comme persuasif (on parle alors de charisme et il est urgent d'aller voir ce que peut dissimuler ce mot à la mode).

Le meilleur conseil que nous puissions avancer ici c'est la méfiance systématique à l'égard de toute forme d'idéalisation éducative; Contentons nous de considérer l'installation de la loi comme une tâche obligatoire, besogneuse, patiente et ingrate, et semée d'embûches. Et surtout, jamais totalement réussie.


 

L'éducateur averti aura sur les autres quelques avantages:

    • en évitant l'idéalisation, il sera moins aux prises avec la culpabilité face aux « petits résultats » et aux échecs.

    • Il ne se prendra pas pour la « loi incarnée » ou la « statue du Commandeur ».

    • il fuira le laxisme autant que la rigidité.

    • Il réagira par davantage de recul face aux élèves mal disposés devant la loi et qui réagissent sur le mode de la provocation.

Une autre condition requise pour incarner la loi, la rendre présente, réelle aux élèves, tient à la capacité de décider de traduire en acte le fait que nous garantissons la loi. Les enfants nous observent, nous écoutent éventuellement,; mais attendent de voir si nous allons traduire dans la réalité nos points de vues, nos sentences, nos savoirs. Ils veulent constater la manifestation « à travers nous » de nos intentions; Nous devons donc agir même si nous ne sommes pas sûrs – absolument sûrs – de nos analyses de nos mesures, de notre compréhension de la situation. D'autre part, ce que nous prétendons bon pour eux, nécessaire, logique, allons nous l'assumer pour nous? C'est une affaire cruciale; une des grandes menaces qui a pesé de tous temps sur l'éducation tient au fait que les valeurs annoncées par les adultes demeurent des abstractions. Les enfants observent que les adultes ne les appliquent pas pour conduire leur propre vie; ils sont même capables de déceler leur manque de conviction quand ils « font la leçon ».

Il y a sur ce point un danger de ce que nous allons nommer une « corruption éducative », tout à fait semblable à la corruption que nous observons à propos de nombre de ceux qui nous dirigent en politique. Le résultat nous le connaissons: perte de confiance d'abord puis effondrement des institutions en raison de l'absence d'incarnation des valeurs de celles-ci par ceux qui les dirigent.


 

L'enseignant tout seul ne porte pas cette obligation d'incarner la loi. L'institution, à ses divers degrés et surtout à celui de l'établissement doit s'abstenir de fuir; ce qui se produit, hélas, trop souvent. Les équipes de direction, mais aussi le collectif des professeurs en tant que tel, doivent s'apercevoir que cette manière d'esquiver les démarches disciplinaires accroit l'isolement et donc l'exposition de chaque enseignant. Mais il est évident qu'elle fragilise l'ensemble de l'établissement. Cette remarque vaut pour l'ensemble des niveaux concernés et jusqu'au ministre de l'éducation.

Exercer l'autorité avec énergie et continuité, faire comprendre la part intelligible de la loi et l'incarner, ces trois leviers dont dispose l'école pour y faire entrer les élèves et les y maintenir sont à utiliser conjointement. Il ne s'agit pas de cartes que l'on pourrait jouer séparément et pour exploiter la comparaison, c'est bien le jeu de trois cartes qu'il convient d'abattre sur la table.

Curieusement, la carte pédagogique, si bien adaptée en apparence au contexte scolaire n'est pas déterminante. Les tentatives toujours renouvelées de développer cet aspect jusqu'à la sophistication resteront vouées à l'échec. Avec la transmission de la loi nous sommes entièrement du côté de l'éducatif et très partiellement sur le versant de l'enseignement.

Enseigner s'appuie efficacement sur des techniques et la mise au point de méthodes elles-mêmes issues d'un savoir constitué. S'agissant de faire accéder les enfants à l'état adulte par son installation dans l'ordre de la loi, rien ne peut se substituer à la capacité et à la décision d'un adulte de tenir sa place.


Date de création : 23/08/2013 @ 16:11
Catégorie : ACTIVITES - Education scolaire
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