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Faire redoubler un élève.


 


 

On ne discutera pas ici du redoublement « en général » mais des difficultés que les enseignants rencontrent à partir du moment où ils commencent à l'envisager, jusqu'à l'issue souvent incertaine.

Faire recommencer à un élève une année scolaire qui ne lui a pas apporté le niveau suffisant pour passer dans la classe suivante est un usage ancien, traditionnel, qui se rattachait à l'autorité de l'école et qui n'était presque jamais contesté.

Nous nous trouvons présentement dans un contexte idéologique très critique vis à vis de cette pratique jugée persécutive, inefficace et coûteuse. L'administration scolaire, notamment à ses échelons les plus élevés, sans avoir pour le moment décidé de sa suppression, se montre très dissuasive jusqu'au point de désavouer d'assez nombreuses initiatives.

La position que nous souhaitons avancer ici sera prudente et nuancée. Nous estimons que la pratique du redoublement appelle un certain nombre de précautions et de restrictions.

Notre hypothèse est essentiellement pratique: si décevante que puisse être la mesure, elle pourrait s'avérer utile pour réguler la scolarité d'un certain nombre d'élèves à certains moments de leur trajet. Nous désapprouvons le projet abstrait et peut être sectaire de supprimer pour des raisons purement idéologiques l'usage d'un outil qui demande un maniement soigneux mais qui, une fois disparu, pourrait manquer dans la panoplie des moyens requis pour faire face à certaines manifestations de l'échec scolaire.

La difficulté qui se manifeste actuellement aux enseignants n'est pas, en première approche, technique. Nous convenons que sur cet aspect, la décision est dans bien des cas difficile, mais le malaise ressenti par nos collègues trouve sa source dans une mise en cause de leur autorité.

Précisons que pour les familles concernées, la suspicion qui entoure cette mesure conduit au mieux à une défiance vis à vis des enseignants, au plus grave à des conflits ouverts débouchant sur des demandes d'arbitrage hiérarchique qui se concluent dans bien des cas par le désaveu des professeurs.

Comme d'habitude, on néglige l'impact sur les élèves des propos négatifs que peuvent tenir les parents devant leurs enfants. Lorsqu'ils entendent leur famille mettre en doute l'intérêt du redoublement, les élèves se trouvent dans un conflit entre leurs éducateurs. S'ils sont concernés par la mesure, on devine ce qui peut advenir: agressivité dirigée contre l'école, passivité et inertie pendant l'année redoublée.

Nous allons passer en revue les objections actuelles que l'on adresse au redoublement. Elles sont assez nombreuses et de consistances variées. Le procès est chargé, on va s'en apercevoir.


 

On débutera par la plus récente des objections: le redoublement des élèves est coûteux pour le budget de l'Éducation Nationale. Ralentir le cursus c'est forcément le prolonger et par conséquent accroître le coût de la scolarité. Cette approche, confidentielle lors de son apparition, est en train de se répandre à la faveur des tendances économico-gestionnaires qui touchent de plus en plus la sphère éducative.

On reprochera à cette approche son caractère mécanique et simplificateur. S'agissant d'échec scolaire et de lenteur éducative, si un point de vue économique se légitime il lui faut considérer la question plus globalement. Ce type d'échec entraine toutes sortes de dégâts coûteux sur le long terme et en définitive, il faudra bien qu'une société s'en acquitte, quelque forme d'aide, de soutien, de compensation qu'elle y mette. Rien ne prouve qu'un redoublement, lorsqu'il est bien adapté, soit plus coûteux qu'un camouflage momentané du retard.


 

Considérons maintenant le procès d'inefficacité. C'est, en théorie, une excellente question: redoubler permet-il de mettre fin à l'échec scolaire? Les adversaires du redoublement font valoir qu'un nombre important d'élèves qui ont vécu cette mesure demeurent fragiles et ne quittent pas la zone des élèves en difficulté scolaire.

Nous ne contesterons pas cette observation. Au contraire, nous la tenons pour une évidence mais elle mérite une interprétation qui reste cohérente avec le problème posé au départ. Les termes de « retard » ou de « difficulté scolaire » recouvrent des situations individuelles très disparates qui vont de la défaillance momentanée (rattachable, par exemple, à un événement qui perturbe l'enfant) à des faiblesses constitutives (l'enfant qui rechigne à devenir élève, quelque soit son potentiel intellectuel). Dans le second cas de figure, le plus fréquent, le retard scolaire est durable, parfois définitif. L'élève concerné fera un parcours scolaire ordinaire mais toujours difficile, accidenté et sous assistance (aides diverses, soutien scolaire).

La difficulté scolaire est très fréquemment assimilable à un symptôme qui vient révéler des difficultés de développement. Dans nos sociétés, la période de l'enfance et de l'adolescence recouvre l'initiation scolaire (très longue). Il est donc obligatoire qu'un certain nombre de conflits liés au fait de grandir prennent des apparences scolaires. Mais le symptôme n'est pas la structure et les démarches que tente l'école pour atténuer ce symptôme n'ont pas souvent d'effets sur les dispositions sous-jacentes. A partir de ce constat, il ne faut pas être scandalisé par la persistance de la difficulté scolaire après un redoublement. Cette mesure n'a pas de vertus miraculeuses. Il serait sans doute sain, comme pour toutes les dispositions d'aide ou de régulation que nous offrons, de ne rien promettre ou garantir. Nous pourrions nous en tenir à présenter le redoublement comme une mesure occasionnelle, opportuniste presque, que l'on envisage surtout en constatant que les acquis sont beaucoup trop faibles pour permettre de suivre le niveau supérieur. Nous serions honnêtes en nous refusant à tout pronostic concernant l'évolution à moyen et long terme.

Notre troisième mise au point prend la forme d'une dénonciation. Celle d'une pression idéologique qui prétend que toute mesure singulière appliquée à un élève est inégalitaire, qu'elle « fait des différences ». L'extension de cette revendication de « la même chose pour tous » dans le domaine scolaire est devenue insupportable et finit par nuire à la cause qu'elle prétend défendre. Pour ne pas, dit-on, laisser se creuser des différences entre les élèves, on finit par les faire passer tous dans le même moule. Évidemment on s'arrange pour que le cursus ait les apparences de la réussite. Sans développer nous renvoyons au débat présent depuis quelques années dans les médias à propos de la valeur des diplômes obtenus par « tous ».

Le fait de rallonger un cursus scolaire par le redoublement est présenté par nos idéologues comme un geste stigmatisant, générateur d'inégalités, créateur de ségrégation... Ils mettent au service de leur démonstration générale tous les cas sans se demander notamment si passer une année de plus pour obtenir un vrai diplôme ou consolider des connaissances de base pour toute sa vie ne serait pas préférable.


 

Une objection pédagogique est adressée au redoublement sous la forme du « redoublement à l'identique ». Cette objection est sérieuse et il n'est pas possible de la traiter avec légèreté. Elle s'appuie sur un fait objectif: même dans les cas les plus faibles, l'élève qui n'a pas beaucoup profité de son année n'a pas un bilan nul. Sur un fond général d'abandon, de retrait, tout élève connait par intermittence des regains de disponibilité, des éclairs de participation. L'enseignement collectif, on le sait aussi, imprègne toute la classe. Les enseignants ont bien observé que certains élèves en apparence très détachés des situations de travail, « attrapent » des connaissances, des bribes de méthode. On sait aussi, en tant que professionnels, que certains profils font de l'opposition lorsqu'il s'agit d'entrer dans l'évaluation, la mesure des résultats. Il en résulte pour eux un décalage important entre ce qu'ils ont appris et ce qu'ils en montrent.

Si nos observations sont justes elles entrainent une recherche de solutions pédagogiques comportant une part plus ou moins importante de différenciation. Celle-ci sera dosée et identifiée dès le départ à l'aide des évaluations (celles de l'année antérieure auxquelles s'ajoutent celles du tout début d'année).

La mise en œuvre concrète, quotidienne, des propositions de différenciation est délicate pour les enseignants et il serait déraisonnable d'attendre des dispositifs complexes lourds comme si l'élève concerné travaillait intégralement « à la carte ». Ce n'est pas possible et sûrement pas éducativement souhaitable. On s'arrêtera donc sur des compromis.


 

Examinons aussi le préjudice psychologique pour l'élève qui serait conséquent à la décision de le faire redoubler.

Cet aspect possède quelques traits communs avec l'idéologie mentionnée ci-dessus: pour nombre de nos contemporains l'école ne doit faire obstacle ni à l'égalité, ni au bonheur. Tout acte susceptible d'entraîner une souffrance, une contrariété devient condamnable. On peut observer d'ailleurs que la mise en cause s'étend puisque même la notation est suspectée de produire de la douleur (voir le débat autour de la « constante macabre »). Il faut produire une critique très serrée de cette tendance qui pourrait aboutir à de fâcheux effets éducatifs si l'on continue à croire que l'école ne doit soumette l'élève à aucune épreuve.

Nous avons au contraire à rappeler que le passage (toujours difficile et aux résultats toujours limités) de l'enfant à l'état d'adulte, s'effectue à travers des franchissements d'obstacles, des renoncements à la toute puissance, des acceptations de limites et de frustration.

Nous saisissons l'occasion pour inviter nos lecteurs à se reporter à plusieurs contributions offertes sur notre site et qui abordent ce thème à travers plusieurs notions (la loi, la sanction, les enjeux de l'échec etc...).

Revenons au redoublement et aux effets de souffrance qu'il peut induire. Notons que la mesure elle-même est l'aboutissement d'un échec dûment établi et que cet échec qui a duré longtemps a infligé une bonne dose de souffrance, y compris à ceux qui jouent l'indifférence.

La décision de proposer cette mesure n'est pas vécue avec plaisir, quoique, de nouveau, dans un nombre important de cas, elle puisse mettre fin à une situation très pénible pour l'élève. Elle joue alors le rôle d'une « opération vérité », elle fournit un repère, elle remet un ordre, une temporalité, une perspective. Nous ne contesterons pas que ce replacement s'accompagne d'une certaine contrariété et provoque des blessures. Nous estimons que, dans une vision au long terme, ces désagréments seront moindres que les inconvénients entrainés par le laxisme, le mensonge, le refus des adultes de dire « non » à l'enfant, le rejet d'une relation éducative « vraie ».

A présent nous pouvons mesurer à la fois l'étendue des forces qui s'opposent à la pratique du redoublement et la fragilité du nombre des arguments avancés par ceux qui le mettent en procès.

Reste à se déterminer pratiquement pour chaque professeur, en fonction de son appréciation de ce contexte et aussi par rapport à chaque cas particulier d'élève.


 

Rappelons d'abord l'évidence règlementaire: cette mesure, tant qu'elle n'est pas officiellement abolie demeure praticable. Tout professeur qui l'envisage ne se place donc pas dans l'illégalité.

Sera-t-elle tôt ou tard interdite? Cette issue n'est pas à exclure car les pressions de type idéologique sont actuellement très vigoureuses; mais on peut envisager l'évolution vers une voie très restrictive sous forme de quotas très faibles à ne pas dépasser par exemple; Ou encore en faisant échapper à cette possibilité certains segments du cursus (par exemple, on ne redouble jamais dans tel cycle). Il peut être trouvé un mécanisme très dissuasif en exigeant de constituer des dossiers très lourds quant aux constituants d'évaluation. Les collègues pourraient alors renoncer face à la lourdeur et au pointillisme de la tâche.

Nous opterons ici pour une ligne de conduite qui s'éloignera aussi bien du défaitisme (« ce n'est pas la peine ») que du passage en force (« faire comme si c'était simple »).

La première dérive écarterait trop de l'éthique du métier. Celle-ci exige qu' « en notre âme et conscience » nous agissions conformément aux intérêts de l'élève. Comme nous l'avons observé la mesure peut y contribuer. Conservons alors cette possibilité mais, dans ce cas, mettons de notre côté toutes les chances. Ce qui nous oblige à beaucoup plus de précautions (et à des travaux plus approfondis) qu'à l'époque où le redoublement était banal et admis sans objections.


 

Pour aller sans angoisse dans cette direction, quelques principes sont à respecter:


 

    • l'étayage technique du dossier: non pour la beauté règlementaire, ou pour impressionner; mais parce que nous avons à produire une évaluation complète qui appuie notre proposition. Nous ne la maintiendrons que pour les cas d'élèves où l'ambiguïté, le doute sont levés.

    • En amont de la mesure nous aurons à nous soucier de sa présentation (aux parents d'élèves bien sûr mais à l'élève également). S'agissant de la famille il est essentiel d'obtenir plus qu'un accord formel, un soutien est nécessaire. A travers leur soutien les parents affirment leur solidarité avec l'école mais aussi avec leur enfant;

    • l'accompagnement éducatif de l'enfant: comme nous y avons insisté, l'épreuve est difficile. Elle doit l'être, en toute logique, et un enfant qui ferait semblant d'y être insensible serait dans la dissimulation. L'enseignant doit lui signifier clairement que par cette mesure il ne le punit pas, qu'il a conscience de la difficulté, de la déception, des doutes pour la suite mais qu'il sera aidé et encouragé.

    • Le dernier principe concerne l'état d'esprit à installer pour soi quand on se dirige vers la proposition de redoublement: une fois que nous sommes convaincus d'avoir fait au mieux, ne nous laissons pas impressionner, culpabiliser, décevoir trop par un dénouement contraire à nos souhaits. Rappelons nous que, malheureusement, notre profession a perdu de son autorité, que l'école est soumise à des modes de pensées très fragilisants, à des idéologies peu conséquentes. Essayons de ne pas idéaliser un contexte et une époque qui rendent périlleuse la mission éducative.

       


Date de création : 14/07/2013 @ 14:54
Catégorie : BILLET du MOIS - Débats
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