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De l’ « élève » en difficulté à l’enseignant en difficulté 


 

Depuis de longs mois, au sein d’un groupe d’analyse de pratiques, nous rencontrons de manière récurrente des profils d’enfants et de familles déstabilisants. Le suivi dans le temps nous conduit à constater combien certains enseignants se retrouvent alors dans de véritables impasses certes professionnelles mais pas seulement !

Ce constat mérite que nous nous intéressions de très près à toutes les interactions et que nous revendiquions les distinctions à faire, et aujourd’hui occultées, autour de ce qui est qualifié de « difficulté scolaire ».

Il est dangereux, pour l’institution même, de s’enferrer dans cette globalisation de la difficulté scolaire qui, sur le terrain, se décline au pluriel et ne peut s’appréhender que dans sa grande diversité. Nous ne pouvons pas continuer à raisonner sur cette vision erronée qui voudrait nous faire croire que la difficulté scolaire est univoque.

Les distinctions sont très nombreuses et la première relevée ouvre tout un éventail avec une multitude de déclinaisons. Il nous faut prioritairement différencier « l’élève en difficulté » de « l’enfant en difficulté ». Pour ne pas nous perdre dans un dédale de cas particuliers, nous essaierons de les approcher de manière générique : prenons trois grandes catégories comme points de référence.

1. Les « élèves dits en difficulté d’apprentissage » : disons que nous retrouverons ici, des enfants qui ont acquis une posture d’élève mais qui se heurtent à des difficultés ponctuelles ou installées dans tout ou partie des matières enseignées ( à titre d’exemples : difficultés à entrer dans la lecture, à se repérer dans le temps et l’espace…). Pour eux, les enseignants seront en mesure de mettre en œuvre les protocoles d’aide individualisée et leur travail de soutien, auprès de cette catégorie d’élèves, sera étayé par les seules modalités envisagées par l’institution. Même si l’injonction de réussite est parfois d’une ambition irraisonnée, cette aide à la difficulté peut se concevoir théoriquement et pratiquement.

2. Les « élèves dits en difficulté d’ordre comportemental » : Si ceux ci sont entrés dans les apprentissages (et parfois avec une réelle aisance), ils peinent ou résistent à se comporter comme un « élève » à part entière (ce qui peut se traduire par la violence physique ou verbale, le refus du cadre…). Certains refusent de se conformer aux règles collectives et peuvent entrer en résistance silencieuse ou tonitruante. On ne parle plus ici de la difficulté concernant la « chose » scolaire mais le comportement peut obliger l’enseignant à considérer qu’il est néanmoins en présence d’un élève en difficulté. Il est alors confronté à une situation particulièrement déstabilisante car il y a souvent une inadéquation entre la difficulté ainsi pointée et ce qui devrait pouvoir servir de cadre à l’aide. Il n’est pas aisé d’authentifier les symptômes compatibles avec la reconnaissance officielle de ce type de difficulté. L’enseignant (au mieux l’équipe) devient seul « juge » et doit essayer de composer avec un cadre préétabli inadapté et inadaptable à la difficulté rencontrée. C’est donc bien dans ce type de contexte que l’élève en difficulté va générer autour de lui tout un faisceau d’interactions complexes et ayant pour conséquence de conduire l’enseignant à se percevoir en difficulté . Il sera essentiel de se pencher sur ce phénomène pour nous permettre d’extraire un maximum de symptômes à identifier comme des éléments repérables qui, isolément ou conjointement, nous conduiront au diagnostic de « difficulté » chez l’enseignant.

3. Les « enfants en difficulté » : Ces derniers sont rapidement repérés par l’enseignant car ils présentent des symptômes lisibles. Ils sont très souvent en décalage voire même en décrochage scolaire. Ils sont dispersés ou absents et leur attitude face non seulement aux apprentissages mais aussi par rapport au cadre scolaire ne leur permet pas d’accéder au statut d’élève. Ils mettent d’emblée l’enseignant dans une grande difficulté. Tout d’abord, il lui faut essayer de cerner au plus près l’origine de cette difficulté : l’enfant est-il porteur d’une déficience intellectuelle qui interdirait ou freinerait l’aptitude à devenir élève et l’accès aux savoirs ? Dans certains cas, nous avons tout ou partie de la réponse dans le suivi de l’enfant et des protocoles d’aide sont déjà adoptés. L’enseignant va devoir s’approprier l’aide ainsi instituée et mesurer sa portée exacte. A quoi ou en quoi, cette aide répond à la réalité concrète de cette difficulté au sein du groupe classe ? Il n’est pas rare que la réalité quotidienne reste complexe et que l’enseignant se sente aussi démuni que si aucune procédure préalable n’existait. Dans d’autres cas, pas de déficience avérée et une interrogation totale sur ce qui peut se traduire dans les faits jusqu’à des formes de blocage. Aucune prise possible pour amorcer un début de diagnostic et tout un chemin à parcourir « yeux bandés » pour convaincre familles et partenaires d’une nécessaire prise de conscience de cette difficulté que l’enseignant ne peut illustrer qu’en référence à ce qu’il attend de tout élève. L’enseignant va connaître une vraie période de solitude avant d’obtenir une validation de son constat suivie de la mise en place du « circuit d’aides institutionnalisées » peu ou pas adapté à ce profil d’enfants.

Quoiqu’il en soit, ce qui demeure, c’est la relation particulière à établir avec cet enfant que nous avons pour mission de « scolariser » en l’état.

Cette relation devrait être celle d’un professionnel qui aurait pour charge de transmettre des connaissances au sein d’un cadre institué garantissant les meilleures conditions de fonctionnement et un environnement favorable pour remplir cette mission. Certes !… mais si justement, le professionnel se percevait comme dans l’incertitude de pouvoir tenir une posture uniquement professionnelle de par l’inaptitude à « devenir élève » que lui présente cet enfant ? Ce n’est pas « entend able » ? Aujourd’hui encore, on dénie ou au mieux on minimise ce type de constat! ! ON ? l’institution : oui mais pas seulement, certains partenaires et même certains collègues qui eux-mêmes vivent des difficultés analogues , les familles également pour qui l’école doit tout pouvoir y compris palier à leurs carences éducatives (circonstances aggravantes dans certains cas!). Si tous résistent à reconnaître cet état de faits, ce n’est pas toujours par pure mauvaise volonté mais sûrement parce que cela impacte de plein fouet les capacités à agir, à solutionner et qu’il est difficile, dans le contexte contemporain, d’admettre que des carences éducatives familiales puissent être évoquées. Pourtant, l’enseignant ainsi concerné a un besoin vital de cette reconnaissance car c’est elle qui l’autorisera à accepter de soutenir une relation « anormale » avec ce type d’enfant. Une implication où l’enseignant en tant que personne assistera le professionnel, qu’il est, à trouver un positionnement compatible avec le cadre limité dans lequel nous agissons alors. Ces enfants ne veulent pas ou ne peuvent pas d’emblée soutenir une relation ordinaire «enseignant-enseigné » et l’enseignant devra chercher une voie intermédiaire dans laquelle il se sait impliqué au delà de la ligne normative. Il est insécurisé et donc fragilisé, il se sait condamné à tâtonner en procédant par petites touches successives, par des va et vient incessants et par une vision à court terme : tout cela est peu compatible avec les directives officielles concernant la profession. C’est un peu comme s’il se mettait dans une certaine illégalité alors même qu’il n’a pas d’autre réelle alternative. Il pourrait sans doute en être autrement si la communauté éducative dans son ensemble ne se voilait plus la face et soutenait le dialogue sur ces « enfants en difficulté » ; si par cette reconnaissance, elle donnait toute latitude aux équipes pour réfléchir et proposer des axes de travail intégrant totalement la prise en compte de ces profils d’enfants hors norme.

Objectivement, il est fallacieux de vouloir réfléchir à toutes ces questions sous l’angle purement individuel car nous demeurons dans la sphère collective et toute initiative doit garder cela en mémoire.

Néanmoins, notre analyse peut nous conduire à extraire le maximum d’éléments interactifs agissant sur la construction de ces profils atypiques et sur le relationnel qui lie l’enseignant à tel ou tel enfant.

Que nous soyons en présence d’un profil « élève en difficulté d’ordre comportemental » ou d’ « enfant en difficulté », nous retrouvons certaines constantes qui pourtant ne peuvent pas être étudiées dans leur généralité mais seulement dans leurs spécificités.

Par exemple, prenons l’enfant et sa toute puissance : nous constatons que, pour les profils concernés, cette donnée est bien réelle mais pour l’enseignant, ce diagnostic n’est pas suffisant pour envisager d’emblée un type de réponse. Il faut alors relier ce désir exprimé de toute puissance au cadre où il cherche à l’exprimer.

1. Cette expression de toute puissance émane d’un « élève en difficulté d’ordre comportemental » : il arrive que l’on puisse y voir la volonté farouche (de l’enfant ou de sa famille) d’afficher voire même d’imposer une forme de différence . L’affichage de cette « différence » allant même parfois jusqu’à vouloir justifier les dérives comportementales. Pour l’enseignant, la situation devient périlleuse car elle le conduira à interroger la famille sur le comportement social de leur enfant en lien implicite avec l’éducation reçue. Là où l’enseignant parlera de difficulté de socialisation et d’une demande d’aide en ce sens, il verra ou bien une fin de non recevoir de la part de la famille (« C’est l’école qui ne sait pas s’adapter à leur enfant ! ») ou bien un risque non négligeable de voir la demande initiale interprétée et l’enseignant se trouve dessaisi, au profit de tel ou tel « spécialiste », de la démarche et « instrumentalisé » ( piégé ou manipulé par des « acteurs » qui ne veulent pas remettre en cause leur mode éducatif). L’intervention de « spécialistes » à l’extérieur de l’école peut se révéler inadaptée voire même néfaste. C’est ainsi que nous voyons pleuvoir des annonces de QI là où nous parlions de difficulté comportementale ! ! C’est donc avec infiniment de précautions qu’il faut chercher l’écoute des familles car, dans le désir d’aider l’élève à vivre en collectivité , l’enseignant peut se retrouver impliqué dans le tissu relationnel familial où se jouent des enjeux de pouvoir n’ayant aucun lien avec la réalité scolaire de l’enfant. C’est dans cet imbroglio qu’il faut néanmoins ne pas perdre de vue la démarche de socialisation recherchée : même si nous n’obtenons pas de solution miracle, il est parfois plus réaliste de revenir sur le seul plan enseignant-« élève ». Au départ, nous désirions éviter de nous enfermer dans une relation duale dont nous ne pouvons ignorer les limites et les dangers mais nous réalisons après coup que l’implication familiale sur ce type de situation est potentiellement risquée (à tous niveaux ! !). L’enseignant peut subir non seulement des désagréments directs dans sa relation avec la famille qui n’hésite pas ou bien à le discréditer aux yeux de l’enfant, ce dernier ne le reconnaissant plus en tant que référent institutionnel, ou bien de se voir mis en accusation pour permettre à certains parents de se dérober dans leurs responsabilités éducatives. Il peut aussi servir de « faire valoir » à certains spécialistes peu scrupuleux, n’ayant aucune intention de travailler en partenariat dans l’aide auprès de l’enfant... Pour espérer une sortie de crise, l’enseignant n’aura d’autre porte de sortie que la réflexion au sein de l’équipe : poser la problématique et étudier ensemble les véritables marges de manœuvre qui allègeront les implications trop personnelles et qui devraient nous amener à accepter nos limites. Pour cela, chaque enseignant doit se sentir en sécurité : ne pas craindre les regards des collègues, ne pas vivre la difficulté présente comme un échec personnel… Bref, tout ce qui nous leste et nous freine dans notre volonté d’avancer. Chacun aura à s’interroger sur cette nécessaire avancée pour faire face au mieux aux nouvelles difficultés du métier. Cela revient sans doute à renoncer à une indépendance aujourd’hui factice qui nous servait de « bouclier » pour tâtonner ensemble sur une adaptation possible de notre place d’enseignant dans un monde éducatif complexe et mouvant.

2. Cette expression de toute puissance émane d’un « enfant en difficulté » : elle peut revêtir des formes extrêmement variées allant du mutisme et « rêverie » aux crises d’agressivité. Dans le premier cas, l’enfant « impressionne » l’adulte (enseignant de surcroît !) car il peut aller jusqu’à refuser d’entrer en communication. Sans langage, sans « fil relationnel », pouvons nous imaginer que l’acte d’enseigner garde un sens ? Dans le deuxième cas, le mode de communication échappe au contrôle de l’adulte qui se retrouve écartelé entre une place à tenir (par rapport aux autres élèves tout autant qu’envers cet enfant là) et le désir de céder à la « désertion » (« je ne veux plus rien voir, rien entendre … et pour certains, ce sera la fuite par la maladie…). Ces enfants ne nous laissent pas indifférents et nous entraînent, nous poussent dans nos propres contradictions. Ils suscitent tant de réflexions autour de leur difficulté à entrer dans les apprentissages et leur résistance au cadre : comment savoir ce qui a été au démarrage de l’engrenage ? L’enseignant a nécessité à entrer dans l’action face à ce type de profil d’enfant alors…. il se lance parfois dans une course effrénée pour trouver le dispositif miracle qui stoppera la machinerie infernale qui semble s’imposer à lui. L’enseignant s’épuise et se décourage car progressivement il est happé par un processus destructeur : il « doute » ! Ce doute n’est bientôt plus qu’un symptôme réel de la mise en danger de l’enseignant dans sa fonction tout comme dans sa personne. Ces enfants gomment les repères nécessaires à tout enseignant et aider ces enfants n’est pas chose aisée : il est donc important de ne pas se sentir coupable d’échouer avec eux car si la « mission » mérite d’être tentée, nous ne pouvons rien anticiper quant à son résultat. Nous sommes là sur des limites où certains pourront entendre notre désir de les aider et d’autres qui le rejetteront !

Nous rejoignons ici les constats précédents concernant les « élèves dits en difficulté d’ordre comportemental » et là aussi, seule l’équipe offrira le terrain le mieux approprié pour déculpabiliser certains collègues en quête de réussite absolue. Il s’agit principalement de se pencher ensemble sur ces profils d’enfant non pas pour échanger des recettes (même si certaines pratiques peuvent être mutualisées) mais pour essayer de dégager une sorte de plan d’actions où l’on prendra le plus grand soin à préciser le cadre professionnel que nous nous imposons pour agir en toute sécurité. Par exemple, tout contrat avec un enfant devra être défini au niveau de l’objectif visé et sur sa durée.

Le sujet abordé ici mériterait plus ample développement mais une longue réflexion individuelle me paraît un préalable nécessaire avant que chacun puisse envisager son implication directe sur des projets collectifs d’aides.


 

En affirmant qu’aujourd’hui, les équipes d’enseignants auraient pour vocation et pourraient symboliser la défense du « mieux être au travail », il me reste à poser la question indispensable à une telle projection : les équipes sont-elles convaincues et prêtes à en accepter la charge ?

NON ? OUI ? PEUT ETRE ?… les équipes étant constituées d’individualités, elles devront avancer prudemment et se laisser le temps nécessaire pour que leurs membres cheminent personnellement dans ce que cela suppose de renoncements, d’acceptations…

Ne brusquons rien mais regardons autour de nous : là où les équipes sont déjà dans cette dynamique, ce sont dans les écoles confrontées à une entrée concrète dans cette réalité , là où « difficulté scolaire » s’écrit « difficultés scolaires » sans aucune hésitation!


Date de création : 23/03/2013 @ 14:34
Catégorie : ACTIVITES - La difficulté scolaire
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