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Coins de jeux en maternelle: le débat actuel.


 


 

Le groupe de travail qui a rédigé les propositions que l'on trouve sur ce site n 'ignore pas que cette pratique pédagogique, longtemps admise et recommandée, fait aujourd'hui l'objet de réserves et même de mises en cause. On se permettra donc d'ajouter à nos suggestions techniques des éléments de jugement « sur le fond » en nous introduisant dans le débat qui a lieu sur l'utilité de ces équipements et d'éventuels inconvénients qui pourraient s'y attacher.


 

Notre participation se déploie sur trois étapes. En premier lieu nous insisterons sur le rayonnement très ancien (et jusqu'à une période récente) de cette pratique. Ensuite nous rappellerons les objections très diverses qui lui sont maintenant adressées en les reliant à certaines attentes modernes. La troisième partie, la plus consistante de notre contribution, s'attachera à examiner ces objections ou réticences « sur le fond » et on peut tout de suite annoncer que nous les tenons souvent pour hâtives, parfois reliées à des considérations superficielles et même, dans certains cas, entachées d'étroitesse idéologique. Nous ne dissimulons pas notre intention de réhabiliter l'usage des « coins-jeux » et ateliers en montrant d'une part leur utilité en terme d'apprentissage et d'autre part leur cohérence avec les caractères de la vie scolaire des élèves très jeunes.


 

Une pratique longtemps tenue pour évidente:


 

Pendant toutes les décennies du rayonnement de l'école maternelle française, les coins de jeux ont fait partie du paysage « naturel » de la classe. En pénétrant dans celle-ci on s'attendait à les voir et ne pas les trouver aurait suscité de l'inquiétude.

Ils étaient même prévisibles dans le détail et une codification, un répertoire d'installation existaient de fait. Certains coins étaient devenus nécessaires, obligatoires, d'autres étaient admis au titre d'une initiative personnelle de l'enseignant. Mais dans l'ensemble on percevait un accord sur ce qui était souhaitable.

Il ne s'agissait pas de pratiques empiriques, de coutumes persistantes mais leur présence se reliait à une conception assez poussée théoriquement sur la vocation traditionnelle de l'école maternelle, intermédiaire entre la famille et l'école élémentaire.

Un des constituants les plus affirmés de cette théorie résidait dans une conception du jeu chez les jeunes enfants.. Celle-ci, largement inspirée des travaux fondamentaux de psychologie du développement, ne concevait absolument pas le jeu à cet âge comme loisir ou divertissement mais comme expérience d'apprentissage ainsi que d'appropriation du monde. C'est sur ce postulat d'ailleurs que se comprenait le répertoire à la fois diversifié et codifié des coins: telle installation devait favoriser les échanges, telle autre susciter le langage, une autre était plutôt dédiée à des manipulations présentant des difficultés nouvelles etc...

Les coins de jeux n'était pas une concession faite à des « demi-élèves » auxquels il aurait fallu accorder encore un peu de ce qu'ils vivaient à la maison pour mieux leur faire admettre à d'autres moments ou plus tard la sévérité de la discipline scolaire. Il s'agissait bien de s'en servir à des fins d'apprentissages utiles à l'école: tout de suite et pour plus tard. Ces pratiques étaient officiellement admises. Insistons bien: admises et recommandées et pas seulement tolérées au nom d'une vague « liberté pédagogique ». Les inspecteurs des écoles, à l'occasion de leurs visites, vérifiaient la présence de ces installations, en mesuraient la pertinence en fonction de l'âge des élèves, du moment de l'année scolaire; jugeaient de leur diversité et de l'équilibre général qu'elles offraient. Ils observaient aussi leur fonctionnalité (facilité d'accès, commodité et sécurité des objets) ainsi que l'activité qui s'y déroulait lorsque les élèves les investissaient.

Comme on devrait toujours le faire à chaque fois que l'on nous pousse à « moderniser » l'école en rupture avec le passé, il est utile en pratique et de bonne hygiène intellectuelle de se pencher sur des usages qui ont fait autorité et surtout de regarder de près la manière dont on les justifiait.


 

La déqualification actuelle des coins-jeux, les sources du discrédit.


 

Nous ne sommes pas devant une mise en cause globale et univoque, mais face à une convergence d'appréciations négatives, de dévalorisations issues de sources différentes et non homogènes.

Nous avons pu, avec certitude, en relever quelques unes que nous allons présenter dans une succession qui n'implique pas de priorités:


 

    • Les tendances hyper-scolarisantes à l'école maternelle: les débats sociaux récents sur l'intérêt ou non de scolariser avant trois ans, sur les modes de garde et d'accueil convenant aux jeunes enfants et sur les différences dans les visées éducatives aboutissent à minorer le rôle que pourrait tenir l'école maternelle dans le processus « transitionnel » entre éducation pour la petite enfance et l'école. Il est vrai que ces débats n'ont pas livré de conclusions consensuelles, mais leur existence, leur continuité laissent transparaître l'idée selon laquelle on pourrait re-dimensionner l'école maternelle (par raccourcissement du cursus) à une étape pré-scolaire, au sens où l'on entend par exemple que la grande section appartient au même cycle que le cours préparatoire. Dès lors tout le volet des activités adaptatives et progressives se trouverait dévalorisé. D'une façon assez rustique, l'objection se formulerait ainsi: à quoi bon accueillir à l'école des enfants qui jouent, qui dorment l'après-midi, qui passent aux toilettes toutes les heures etc... Pourquoi ne pas installer une vraie scolarité où l'on apprend à plein temps à lire, à écrire et à compter?

    • L'invitation à rendre plus précoces les apprentissages dits « scolaires »: on peut et on doit débuter plus tôt les apprentissages « lire, écrire, compter » mais également les sciences et les langues étrangères, c'est possible! Cette croyance se répand à l'occasion de reportages présentés dans les médias et faisant état de réussites impressionnantes: des enfants de trois ans lisent, écrivent et parlent une seconde langue. Les conditions de contexte ne nous sont pas données et on nous cache qu'il s'agit d'élèves dont les capacités sont égales ou supérieures à la moyenne, issus de milieux familiaux et de classes sociales investissant fortement l'école et enseignés dans des conditions matérielles, d'effectif et d'encadrement très favorables. Le trucage de la perspective doit être dénoncé car notre école maternelle ordinaire ne bénéficie d'aucune de ces conditions. La tentation de la précocité est actuellement stimulée par la déception devant les résultats obtenus par les élèves de notre pays à l'issue des évaluations internationales des acquis scolaires. Devant la médiocrité des scores, un des réflexes les plus rapides consiste à proposer de commencer beaucoup plus tôt à lire et à écrire. La popularisation de ces raisonnements purement mécaniques pourrait amuser si elle n'avait pas de conséquences sur les enseignants. Or elle induit des effets de manque de confiance, de déstabilisation qui ne sont pas connus: les enseignants ne sachant plus très bien où se trouvent le vrai et le faux ont davantage de mal à effectuer des choix pédagogiques cohérents. Certains, tout en éprouvant les limites et les impossibles de cette injonction de précocité, s'y essaient malgré tout. Cela conduit toujours à réduire les possibilités de jeux libres et cela pousse à aménager l'espace dans la même logique. Ces tendances sont visibles, de façon parfois très accentuée en grande section.


 

Une tendance à instrumentaliser les apprentissages.


 

Ceux qui ont bien connu l'époque qui portait aux nues la globalisation des apprentissages, préconisait des situations complexes et proches de la vie, doivent ressentir la différence avec certaines orientations modernes qui d'une part veulent segmenter les apprentissages (par compétences de plus en plus fines) et d'autre part les atteindre par des démarches univoques. L'apprentissage n'est plus global mais pluriel et morcelé et l'activité complexe qui le sous-tendait se divise à son tour en une multitude d'actes ou de « gestes » (ce terme a du succès) qui doivent viser leur cible avec exactitude.

Nous n'affirmons pas que ce modèle est absolument dominant, nous soulignons la réputation croissante dont il jouit en raison de l'illusion de maîtrise qu'il procure dans un domaine – l'éducation scolaire – où l'on se met à envier l'assurance des managers.

Évidemment, si l'on observe les coins de jeux et le mouvement apparemment indéchiffrable qui s'y déroule, on se trouve loin de la « performance », du « rendement » , des « compétences ». La réduction des apprentissages scolaires à de l'observable, à du divisible et du quantifiable, si elle se confirmait (mais elle est déjà très présente dans les excès de l'évaluation scolaire moderne), ne peut que porter préjudice à toutes les méthodes et à tous les dispositifs dédiés à des expériences complexes. Les installations auxquelles nous nous attachons ici sont visées en premier lieu.


 

L'offre techno-didactique de l'industrie éducative.


 

Qu'il s'agisse d'éducation familiale ou scolaire, les choix sont orientés par l'offre. Les familles en premier lieu et l'école maintenant, achètent pour les enfants les produits appelés « éducatifs » que la publicité pousse à acquérir. Les industriel de l'équipement éducatif profilent leurs objets selon des logiques qui se calquent sur les théories mécanistes et comportementalistes de l'apprentissage. On aboutit ainsi à fabriquer une boîte pour reconnaître des lettres, une autre pour apprendre des mots, une troisième pour mémoriser ceci ou cela et on peut multiplier à l'infini les boîtes pour construire, calculer, connaître etc... On peut prévoir que la salle de classe va peu à peu se transformer en une ludothèque didactique dont l'enseignant du « futur » régulera l'accès. Nous ne bâtissons pas ici une fiction mais nous dessinons une tendance utile à relever dans la mesure où elle pourrait menacer nos traditionnelles installations perçues alors comme vétustes, encombrantes et répondant mal aux équations pédagogiques du comportementalisme: à quoi bon des marionnettes que l'on anime dans un castelet alors qu'il est si peu encombrant et si rapide de faire bouger des figures sur un écran en appuyant sur des touches?


 

L'offensive idéologique pour une éducation unisexe.


 

Inutile d'insister sur ce phénomène de culture sociale que tout le monde peut observer se déployant de façon accélérée. Ce qui est récent c'est l'officialisation du mot d'ordre. Jusqu'à présent les enseignants qui conservaient dans leur classe les traditionnelles installations qui attirent les garçons vers les circuits et les garages, les filles vers la toilette des bébés, se sont sentis dans un embarras plus ou moins facile à assumer. L'offensive récente enregistrée en programme politique se traduit déjà par des purges: bannir des écoles maternelles tous les jeux, objets, représentations et installations qui seraient susceptibles de « véhiculer des stéréotypes sexuels » se profilent à un horizon proche.

Sur la considération de cette évolution confirmée on peut deviner que beaucoup d'enseignants seront tentés de renoncer à des installations (et elles sont nombreuses) qui pourraient être suspectées de sexisme.


 

Discussion de ces critiques et réhabilitation des coins-jeux.


 

Nous n'envisageons pas de défendre cette pratique au nom de la tradition et il ne s'agit pas de protéger des pratiques en voie de disparition. Plus simplement nous voulons tester la solidité des critiques qui sont émises à leur encontre et faire apparaître un certain nombre de bénéfices, peu visibles parfois, que la vie scolaire ainsi que les apprentissages à l'école maternelle peuvent tirer d'une utilisation réfléchie et maîtrisée de leur installation.


 

Que dire à ceux qui sont pressés d'obtenir de « vrais élèves » à l'école maternelle?


 

Tout d'abord qu'il ne faut pas sous-estimer l'ampleur et la difficulté pour tous les enfants de l'épreuve scolaire, en portant une insistance toute particulière sur le terme « épreuve ». Nous vivons dans une société de très ancienne et constante expérience scolaire. La généralisation et la massification du phénomène (tous les enfants vont à l'école et sur une durée très longue) nous conduit à banaliser le fait. Avec un tant soit peu de paresse intellectuelle, on se mettrait à croire que les enfants occidentaux possèdent dans leurs gènes la capacité de devenir élève dès qu'on le décide, ils seraient programmés pour cela. C'est d'ailleurs cette illusion qui rend si difficile pour toute notre société (parents, enseignants, responsables de l'école) les constats d'inadaptation et d'échec dans la scolarisation: « comment est-ce possible dans une société aussi évoluée? ».

Admettre l'épreuve scolaire en tant que ses résultats ne sont jamais garantis conduit à installer les termes de cette épreuve et non à attendre une éclosion automatique de l'élève. La présence du jeu à l'école maternelle et notamment sous la forme d'un milieu ludique, permanent, complexe, témoigne de la reconnaissance que l'on a des difficultés et des aléas de l'épreuve. Notre enfant ne devient pas élève par une brusque et définitive mutation; il effectue une suite plus ou moins longue de va et vient, d'allers et retours entre l'enfant joueur et l'élève travailleur. Lui procurer un milieu dans lequel ce mouvement est possible le rassure et l'autorise à des expériences, à des avancées et à des replis. L'aménagement de l'espace dans la classe doit offrir ce champ à l'intérieur duquel l'apprentissage n'est pas programmé ni même mesurable.


 

Sur l'opposition entre jouer et travailler.


 

Elle est une constante de la pensée éducative depuis des siècles avec des jugements de valeur très tranchés qui opposent le jeu enfantin inconséquent, gratuit, égocentrique et le travail de l'adulte, sérieux, utile. D'un côté le principe de plaisir domine, de l'autre s'affirme le principe de réalité.

Cette opposition schématique et réductrice révèle très vite ses limites quand on veut bien examiner la complexité des investissements qui caractérise le travail de l'adulte. Ce travail, loin d'être le pur produit de la maturité et l'effet du réalisme, contient bien sûr toutes sortes de composantes ordonnées autour de la dialectique plaisir-déplaisir. Ce qui est peut-être moins répandu, en dépit d'importants travaux dans le domaine de la psychologie de l'enfant, c'est la fonction du jeu dans la construction de cet enfant et le rôle d'intermédiaire qu'il permet entre le domaine des pulsions et des fantasmes et celui de la réalité.

Le jeu de l'enfant n'est pas le divertissement de l'adulte, il n'est pas non plus le loisir qui permet le repos ou l'enrichissement de son existence. Un psychologue du 20ème siècle a pu ainsi intituler le jeu « le métier de l'enfant » (Jean Château). Un psychiatre et psychanalyste réputé pour sa contribution à la connaissance des troubles du développement enfantin, Winnicot, interprète la possibilité de jouer comme le signe de la guérison. On se reportera utilement aux pages qu'il nous a laissées dans le recueil « Jeu et réalité ». On peut s'y convaincre que le jeu du jeune enfant, loin d'être une esquive de la réalité, une évasion constitue la bonne approche de celle-ci et la seule à cette étape.

Les enseignants de l'école maternelle sont en mesure de confirmer ces propositions théoriques par l'observation qu'ils font de l'activité de leurs élèves dans les cours de jeux. D'une part ils se rendent compte de l'engagement, du sérieux pourrait-on dire, que la plupart y manifestent et d'autre part (a contrario) les conduites troublées de certains (délaissement de ces installations, gestes destructeurs, détournement abusif des équipements) sont toujours considérées comme des signes à prendre en compte en vue d'un diagnostic d'inadaptation.


 

Que penser de l'incitation à rendre les apprentissages scolaires plus précoces?


 

Faut-il à l'école maternelle, prendre son temps, voire imposer une certaine lenteur, ou au contraire engager plus tôt les apprentissages dits fondamentaux et les systématiser plus vite? On reconnaîtra tous ici les termes d'un débat qui a de l'ancienneté. Cette discussion est enrichissante tant qu'elle demeure soumise au souci de ne pas bousculer les étapes. On peut alors la mener en professionnels responsables et trouver les bons ajustements. Si nous la reprenons ici c'est bien en raison d'un aspect nouveau et préoccupant qui fait intervenir comme critère le souci anxieux de la réussite sociale liée au succès scolaire.

L'école connait de nouveaux enjeux qui s'éloignent beaucoup de ses finalités politiques et culturelles fondatrices. Le sens même de la réussite et du diplôme a changé puisqu'il s' »agit essentiellement d'obtenir des tickets d'accès à l'emploi, au revenu, aux honneurs et à la domination sur les autres. Autant d'incitations qui engendrent sur l'école des pressions: efficacité visible et rapide, sélection sévère et naturellement précocité. Un nouveau préjugé pèse sur l'école maternelle, elle freinerait la course, ferait perdre du temps, retarderait l'obtention du ticket. Cette logique matérialiste et comptable se fait peu à peu sentir et si l'on n'y prend pas garde, elle va pousser à brûler les étapes. Cela aurait pour conséquences immédiates d'accroître les inégalités entre les enfants et de provoquer des échecs sévères, particulièrement pour ceux dont la maturation, entre trois et six ans, est lente.

Pour en revenir à nos coins de jeux, on devinera facilement qu'ils font figure d'obstacle, de ralentisseur pour les adeptes des apprentissages rapides et précoces. Pour nous ils constituent un des appuis dont nous disposons pour, au contraire, permettre au jeune élève de réguler son rythme et adapter la vitesse de ses apprentissages. Grâce à ce type d'équipement, il se donne à lui-même un rythme compatible avec l'état de sa disponibilité, de sa vigilance et de ses possibilités d'effort à un moment donné.


 

Quels sont les supports efficaces de l'apprentissage?


 

Nous avons remarqué la pression croissante qui s'exerce pour substituer aux situations globales de jeux des matériaux réduits et partiels construits pour exercer des gestes précis et débouchant sur des compétences toujours plus fines et précises. L'avenir appartiendrait ainsi à des enseignants-techniciens qui disposent d'une boîte à outils très bien garnie et qui installent les élèves sur des tâches spécifiques successives.

On reproche à partir de là à nos installations de jeux leur aspect global et on en déduit que, sans doute, on n'y apprend pas grand chose.

Nous souhaitons formuler à ce propos deux remarques susceptibles de faire réviser ce point de vue.

Tout d'abord la globalisation de l'installation n'est pas équivalente à la confusion des objectifs. Certes la mise en place d'un coin-cuisine ou d'une épicerie présente une très grande variété d'objets et incite à de multiples gestes, mais chacun d'eux est repérable et définissables dans ses propriétés: nommer, dénombrer, classer, ranger, faire correspondre etc... Ce qui est global c'est le contexte, ou encore, pour l'élève, la mise en situation avec le rapport à la vie; mais les opérations effectuées sont singulières et comme telles, rattachables aux buts d'apprentissages que nous proposons.

Notre seconde remarque touche à ce que l'on désigne habituellement par la motivation ou peut-être mieux, le sens des apprentissages. Qu'est ce qui va provoquer l'intérêt? Déclencher l'envie d'agir? A l'inverse on remarque chez les élèves qui tombent en panne dans les apprentissages leur indifférence aux situations abstraites. A tel point que les ré-éducations et aides spécialisées misent beaucoup sur la présentation des situations dites concrètes ou « vivantes » faisant appel autant aux expériences sociales des élèves qu'aux implications du corps (mouvements, gestes, aspects sensoriels). Nos observations ne sont pas originales et elles se rapportent même à des préconisations jusqu'à maintenant tenues pour essentielles dans la doctrine pédagogique des écoles maternelles.


 

Ces installations participent à l'adaptation à la vie scolaire.


 

Remettons nous en mémoire les conditions de la vie scolaire qui s'imposent à de très jeunes enfants, en discontinuité ou en contradiction avec le mode de vie antérieur. Ces nouveautés troublantes pour lui portent sur l'espace (très codifié), sur le temps (très morcelé et ritualisé), sur des alternances imposées dans le mode de l'activité (collective, par petits groupes, individuelle).

Les installations dont nous parlons ici se situent précisément à l'articulation entre ce qui est très contraignant et ce qui serait tout à fait libre. Le coin-jeu offre un compromis acceptable dans l'espace, le temps et l'occupation entre le choisi et l'imposé, entre liberté et contrainte, entre expression et codification. On sait qu'il n'est pas possible d'organiser la vie scolaire des élèves de l'école maternelle autour de l'unique posture « table-chaise ». les coins-jeux apportent une contribution importante à la résolution de la difficile équation dans laquelle l'enfant doit entrer pour devenir élève.


 

Contribution au débat idéologique: les coins-jeux sont-ils sexistes?


 

Le débat sur le rôle de l'école dans la lutte contre le sexisme s'est radicalisé et les enjeux politiciens (être progressiste ou traditionaliste) le rendent encore plus aigu.

La polémique profite d'une confusion persistante entre différence et inégalité. Nombreux sont nos contemporains qui assimilent l'inévitable différence sexuelle à une inégalité à laquelle une société moderne doit mettre fin.

Si la clarification indispensable n'est pas apportée, la situation de l'école risque de se trouver très compliquée quant aux attitudes éducatives à adopter.

S'agissant de continuer à améliorer l'égalité homme-femme dans les pratiques sociales (choisir son métier, être rémunéré de façon égale à tâches identiques, être protégé du harcèlement ou des agressions etc...) il n'y a aucune réserve à formuler concernant le rôle de l'école. Nous nous plaçons alors dans le champ des droits républicains et elle a toujours eu à participer à l'installation et à la consolidation de ceux-ci.

Si maintenant on passe du côté de cette proposition ultra-moderne: »un homme et une femme, c'est pareil », nous changeons d'horizon. Aucune éducation ne peut s'arroger le droit de mettre en cause cette différence, sauf à s'installer dans des passages en force idéologiques qui auront deux effets très rapides. Le premier c'est la déstabilisation des enfants, le second c'est la rupture du consensus nécessaire autour d'une école publique.

Si nous partageons cette distinction, il ne sera guère compliqué de tirer les conclusions quant au contenu de nos « coins-jeux » et la manière d'y réguler l'activité dans le respect de la différence des sexes aussi bien que de l'égalité.

Sur les contenus d'abord, on ne préoccupera pas de réduire la gamme des installations à une thématique unisexe ou prétendue telle car il y aura toujours un idéologue pointilleux pour trouver n'importe où des « relents » de sexisme. A l'inverse on ne privilégiera pas les jeux de « femme au foyer » ou de « démonstrations viriles ». on s'attachera raisonnablement à équilibrer l'ensemble.

La régulation de l'activité des élèves se souciera d'abord de ne pas imposer. Elle bannira les incitations à s'orienter selon le sexe vers tel jeu. L'identité sexuelle n'est pas un programme qui doit se réaliser selon un parcours extérieur prescrit. Chaque être humain suit un chemin toujours personnel.

Comme nous l'avons indiqué, l'école et ses agents vont se trouver (c'est déjà commencé) sous des regards soupçonneux et inquisiteurs et les enseignants peuvent s'attendre à des questions (au mieux), à des objections et à des reproches (au pire) de la part de certains interlocuteurs ou partenaires (parents d'élèves, collègues, contrôleurs hiérarchiques, formateurs).

Pour ne pas ployer sous des assauts qui voudraient les culpabiliser, ils ont intérêt à préparer une réponse qui ne soit pas défensive mais éducativement construite. Nous espérons ici contribuer à les conforter dans cette voie.

Le cas du désaveu hiérarchique est à traiter séparément. Nous ne pouvons pas nous permettre de conseiller la résistance ou de pousser aux affrontements. Chacun devra adopter l'attitude qui lui permet d'ajuster son éthique à sa sécurité.


 

Les considérations que nous allons arrêter ici nous ont emmené bien loin du domaine de la pédagogie; ce qui n'a rien de surprenant vu la nature de la crise actuelle de l'éducation scolaire. Celle-ci n'est pas du tout technique. De techniques en effet, nous ne manquons pas pour enseigner. Les convictions, par contre, nous font défaut; nous ne savons guère dans quelle direction il est nécessaire de se diriger. Les opinions divergent, alors pourquoi pas aller dans un sens plutôt que dans un autre? Cette indécision, ce relativisme laisse le champ libre à tous ceux qui envisagent de se servir de l'école pour avancer des projets assez étrangers à l'éducation. Notre développement offre l'opportunité d'une traversée de ce paysage d'opinions. Nous nous sommes efforcés de ne pas stagner dans l'indécision et l'inaction qui résultent si souvent de ces contradictions.

Les coins de jeux et d'activités dans la classe de l'école maternelle demeurent selon nous un élément robuste dans la construction de la vie scolaire des jeunes élèves. D'où nos propositions sur la manière d'en user avec raison.


Date de création : 08/02/2013 @ 10:28
Catégorie : ACTIVITES - La Maternelle
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