PRESENTATION
ACTIVITES
à Noter ...

Visites

   visiteurs

   visiteurs en ligne

Le formateur, ses limites et celles du métier d'éduquer.


 


 

Le formateur, c'est connu, est dans notre métier confronté à des tâches de formation très variées. Nous ne pensons pas ici à la variété de personnes auxquelles il s'adresse, mais aux différences des situations dans lesquelles il se trouve tour à tour.

Pour fixer les idées par des exemples, il lui arrive de faire un exposé théorique sur la méthode d'enseignement d'une discipline scolaire, d'observer un enseignant débutant pour le conseiller ou un enseignant expérimenté désireux de s'améliorer, d'évaluer des enseignants en formation; il doit aussi présenter de nouvelles orientations pour l'école ou animer des équipes engagées dans un projet nouveau, etc...

On peut estimer que cette diversité des actions est stimulante pour lui et même valorisante, mais on aurait tort de sous-estimer la difficulté qui résulte de cette hétérogénéité en tant qu'elle oblige à changer constamment de repères et de méthodes. Et cela avec des écarts parfois considérables.


 

Nous allons concentrer notre attention sur l'une de ces situations, très fréquente, qui consiste pour le maître formateur à exercer dans une classe devant un apprenti-enseignant qui l'observe dans le but d'acquérir de cette façon des savoir-faire estimés essentiels.

L'occasion de nous arrêter sur cette situation nous est apportée à l'intérieur du groupe d'analyse de pratiques dédié aux formateurs et organisé par l'AAPIE. Il s'agit d'un témoignage, non dépourvu d'émotion, sur la déstabilisation ressentie par une collègue lors d'un ratage (elle utilise les mots « plantage » et « gamelle ») survenu dans sa conduite de classe en présence d'un stagiaire.

On pourra toujours (pour se défendre sans doute) observer que c'est fréquent, banal, normal, sans gravité; il n'en demeure pas moins que la sensation d'extrême embarras, l'impression de se sentir très fragile tout d'un coup, les pensées d'auto-dépréciation, de doute qui accompagnent le plus souvent l'incident, n'ont rien de plaisant et d'anodin.


 

Tout se passe comme si, dans cette occurrence, le formateur ne se sentait plus en position (au moins momentanément) de tenir sa fonction et c'est justement sur ce point précis que nos échanges ont porté dans le groupe à partir de cette question destinée à remettre la situation à l'endroit: « Mais quelle est donc véritablement la fonction du formateur? Quelle représentation en a-t-il en profondeur pour lui-même et quelle représentation suppose-t-il chez celui qu'il forme? Quelle image plus ou moins idéale avons nous du métier, pour trembler ainsi sur nos bases devant un incident déclaré pourtant mineur?

Remettre les choses à l'endroit devrait nous permettre non seulement d'atténuer le malaise du formateur mais surtout de tirer la situation de formateur dans le sens du plus grand profit aussi bien pour lui-même que pour son « formé »

Pour parvenir à ce résultat il est nécessaire de ré-interpréter complètement l'événement. Nous allons le tenter par une série de cinq propositions et une conclusion qui est plutôt une invitation au formateur à compléter sa démarche de conversion idéologique et méthodique par un travail de clarification personnelle.


 

Première proposition: prendre garde à l'idéalisation du métier.


 

L'homme contemporain a tendance à exagérer sa puissance, notamment sur lui-même et sa condition. L'éducation subit, au premier rang, les conséquences de cette prétention.

Rappelons ici à plus de modestie et de réalisme. La limite est implantée au cœur même de l'acte d'éduquer. Cette tâche ne peut pas consister à conformer l'enfant, à le modeler tel un objet en vue d'un schéma pré-conçu. Ce n'est pas une tâche absolue mais relative. L'éducation inclut la résistance à l'éducation: c'est une nécessité à reconnaître sous peine de disparition de l'éducation elle-même qui serait remplacée par un élevage. Or il existe présentement un imaginaire totalitaire à ce sujet. Il s'exprime à travers des mots d'ordre saturés des meilleures intentions comme « éradiquer l'échec scolaire » ou « la réussite de tous ».


 

Si on se place du côté des élèves pris un par un, la limite n'est pas moins sévère si l'on veut bien admettre que le résultat obtenu n'est, de toutes façons, qu'un compromis entre au moins trois forces que nous pouvons désigner:

    • un certain état social éducatif et culturel qui inclut d'ailleurs le niveau de considération que la société peut avoir pour l'école. Cet « état » joue, face aux efforts de l'école, la force d'inertie. Elle est plus ou moins grande, d'une époque à une autre.

    • L'élève lui-même, considéré dans sa personnalité globale, ses dotations initiales, ses caractéristiques de personnalité, les types d'investissement qu'il reçoit de ses parents en vue de l'école.

    • L'action volontaire de l'école, ses buts déclarés, si hauts qu'ils soient placés, doivent s'incarner prosaïquement à travers des conditions matérielles toujours un peu mesquines, des outils pédagogiques fluctuants et peu garantis, des capacités professionnelles des professeurs qui sont ce qu'elles sont compte tenu d'une condition professionnelle peu attractive (ce constat déplaisant s'impose depuis peu après avoir été longtemps dénié.

Toutes les envolées sur la grandeur et la noblesse de la tâche d'éduquer viennent s'aplatir sur le réel du contexte ainsi que sur les limites intrinsèques (et de surcroît indispensables) d'une opération très bornée. Le formateur n'a pas vocation à dénier ce réel du métier. Il doit, à l'inverse, en rendre conscients ceux qu'il forme.


 

Seconde proposition: cette situation offre le contraste maximum avec les gestes de maîtrise qui sont majoritaires dans le métier de formateur.


 

En évoquant, très rapidement, la diversité des situations dans lesquelles le formateur opère, on pouvait déjà apercevoir cette dominante de maîtrise.

Dans la tradition de l'école primaire, le « conseiller » était proposé en modèle à imiter non pas parce qu'il était lui-même un surhomme dans le métier mais parce qu'il avait acquis des gestes considérés comme essentiels. Il s'agissait d'une autorité de type « artisanal ».

Le maître-formateur aujourd'hui est plutôt un médiateur entre les savoirs d'autorité (universitaires et hiérarchiques) et l'enseignant de base. C'est à ce titre qu'il s'adresse le plus souvent à eux. A supposer même qu'il éprouve des doutes devant certaines directives descendantes, il est obligé de tenir sur scène pour jouer le rôle de détenteur du savoir. On ne lui reproche rien, il ne s'agit que de constater les faits. Il se trouve ainsi la plupart du temps dans une position conférencière ou normative. Dans le premier cas il est supposé savoir la vérité sur l'école, dans le second, indiquer les insuffisances et les déviances.

Lorsqu'il fait la classe, cette protection (imaginaire mais efficace) tombe en grande partie du fait que les élèves qu'il a devant lui ne sont pas sur la scène du théâtre pédagogique officiel. Il s'ensuit forcément une avalanche d'incidents, de faits tout simplement, qui ne sont pas généralement des ratages mais banalement les péripéties de tout acte d'enseignement. L'infaillibilité de type pontificale n'a plus lieu d'être, en principe. Mais elle persiste et entre en conflit avec la faillibilité du tâcheron. Et c'est là que la crise se noue: le changement des places n'a pas été effectué « intérieurement » et le formateur souffre beaucoup, se sent menacé tel un « roi nu » alors même qu'il n'est plus roi et qu'il n'a aucune raison de l'être.


 

Troisième proposition: ne pas se tromper quant à l'objet de la transmission.


 

On pourrait résumer très sèchement ce point de la façon suivante: ce qui est le plus précieux à transmettre, c'est son rapport vrai à l'échec aussi bien qu'à la réussite.

Il serait également pertinent d'affirmer: n'exposer que des succès n'est pas transmettre. Si c'était le cas, nous placerions la personne que nous voulons former dans une situation menaçante qui consiste à l'obligation de réussite par identification au formateur.

Mais les inconvénients vont au-delà de la zone qui inclut le formateur et son « formé ». Cette erreur va irrémédiablement engager les élèves qui eux n'ont pas la possibilité de se défendre face à une injonction forcenée de réussite. (Certains tentent tout de même d'y échapper, mais à leur détriment: en décrochant, en se réfugiant dans l'apathie, ou encore en agressant l'enseignant).

Pour le formateur, le chemin le plus court permettant de placer celui qu'il forme en position d'acceptation raisonnable de l'échec de l'élève, c'est d'assumer lui-même ses limites.

Indiquons enfin une perversion dans laquelle tous les protagonistes vont s'enfermer à partir du moment où le formateur n'est plus en mesure d'interpréter correctement son ratage. Il va automatiquement obliger son « formé » à une fuite devant le côté insupportable de la situation. On aura alors cette séquence célèbre: « j'ai tout raté », « mais non, pas du tout, c'était très bien au contraire ». Par définition les deux protagonistes occupent des places dissymétriques qui interdisent au stagiaire de « juger » son formateur. Ce qui enclenche ce chassé-croisé de tricherie peu propice à l'éducation.

En dernière instance, c'est toujours la vérité d'une situation qu'il convient de recueillir sans se laisser impressionner si cette vérité offense la prestance du savant, de l'expert.


 

Quatrième proposition: placer dès le départ le stagiaire dans la posture correcte.


 

Celui qui apprend son métier en regardant son maître de stage l'exercer ne peut pas être laissé dans un état comparable à n'importe quel spectateur de n'importe quelle action. Ce n'est pas un voyeur et surtout pas des désagréments qui affectent le « modèle ».

Un certain nombre de précautions, prises dès le départ, permettent d'éviter de placer les deux protagonistes dans une situation aussi désagréable que stérile.

Ces précautions s'expriment à travers un certain nombre de recommandations adressées au stagiaire par le formateur. Il ne s'agit pas de la « grille » d'observation habituelle, tout à fait utile, qui permet à l'observateur d'être actif, précis et méthodique en le contraignant à centrer son attention sur divers aspects, généralement techniques, du déroulement; Ce sont des incitations à une attitude ouverte, sincère, non déférente, sans esquive, face à tous les aspects du travail que le stagiaire doit subjectivement apprécier.

Ainsi le formateur tiendra un propos de cette sorte: « en bien des occasions vous éprouverez face à ce qui se passe, des émotions, des sentiments qui ne sont pas prévus dans la grille. Vous aurez des réactions qu'il convient de ne pas refouler, mais au contraire d'expliciter en ma présence une fois que j'aurai fini. Par exemple, il vous viendra le sentiment d'approuver ou de désapprouver ce que je fais, la pensée de faire autrement si vous étiez à ma place fait partie de ces réactions. Il arrivera forcément que je sois soumis à des épreuves un peu délicates, peut-être même constaterez vous telle fausse manœuvre de ma part. Je vous demande d'aborder avec moi tous ces aspects car leur évocation et les réponses que je ferai à leur sujet nous aideront à avancer ».


 

Cinquième proposition: la responsabilité fondamentale du formateur.


 

C'est à ce dernier que revient la tâche de poser l'observation dans la perspective qui vient d'être indiquée. Le stagiaire n'a pas à trouver tout seul cette attitude et il serait tout à fait exceptionnel qu'il puisse l'adopter spontanément. En plaçant son stagiaire, de façon volontaire, réfléchie et méthodique dans ces dispositions de manifestation de la vérité de l'acte professionnel, le formateur est loin de se diminuer ou de se risquer dans l'aventure. Au contraire, il accroit son autorité du fait qu'il assume la totalité de son acte. La faillibilité est constitutive de l'acte éducatif, et pour transmettre cet axiome si nécessaire à nos jeunes collègues, nous devons commencer par les inviter à ne pas détourner le regard devant nos limites puisque ce sont celles du métier.


 

Conclusion: le préalable personnel du formateur.


 

Les propositions que nous avons apportées relèvent de la logique. Cela ne suffit pas pour qu'elles soient adoptées par tous les formateurs. Se convertir à un nouveau positionnement rencontre des obstacles qui ne sont pas d'ordre intellectuel mais attachés à certains traits de la personnalité. Autant certaines personnes peuvent ressentir un soulagement et espérer un progrès à la perspective d'assumer cette place de vérité, autant pour d'autres l'incarnation des limites pourra effrayer. Le fait d'œuvrer dans le domaine éducatif ne supprime pas cet obstacle qui n'est pas engendré par la fonction mais dépendant de la personne et de plus rattaché à des traits peu conscients (voire inconscients) de la personnalité. Si l'on demande spontanément à ceux qui ne veulent pas quitter le costume du chef infaillible les raisons de cette attitude, ils sont très surpris et parfois dans l'incompréhension, n'imaginant même pas qu'il soit possible, et de surcroît intéressant, de demeurer chef tout en acceptant la part d'échec. Pour eux chefferie et puissance sont synonymes.

Un travail de clarification personnel portant notamment sur les motivations qui ont poussé le sujet à devenir formateur, se présente alors devant chacun avec la possibilité de décider si cela vaut ou non la peine de l'entreprendre.

Ce travail mettra certainement celui qui l'entreprend dans des états transitoires de doute mais cela n'entraîne aucune dépréciation de la formation en tant qu'elle doit, en toutes circonstances, manifester la vérité du métier.


 


Date de création : 08/11/2012 @ 17:23
Catégorie : ACTIVITES - Formateurs
Page lue 1142 fois
Précédent  
  Suivant

Recherche
Recherche