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Dossier: Mise en place d'un projet d'éducation scolaire
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Mise en place d'un projet d'éducation scolaire
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L'échec scolaire aujourd'hui.
Intervention du Formateur AAPIE auprès des Francas Pays de Loire.
Le 04/04/2011
La société toute entière s'est emparée de ce sujet d'une façon passionnelle, ce qui conduit tout un chacun, professionnel, expert, élu, parent à se prononcer sur les causes, à désigner des responsables, à annoncer des solutions. Cet activisme souvent polémique aboutit présentement à un discours surabondant à l'intérieur duquel les émotions prédominent, les bonnes intentions se répètent sans vraiment clarifier la situation et surtout sans donner des perspectives, disons raisonnables, qui pourraient permettre de concentrer l'énergie des enseignants sur des pratiques qu'ils pourraient s'approprier.
Les constats, interprétations et propositions que je m'apprête à formuler reflètent d'une part une assez longue expérience de l'encadrement, de la formation et de l'évaluation des enseignants, d'autre part les acquis d'une initiative récente mais tout de même substantielle (sept années) d'aide à ceux-ci par le moyen de groupes d'analyse de pratiques.
J'estime important de dire tout de suite que mon approche de l'échec scolaire a beaucoup évolué car je fais partie d'une génération de cadres et de formateurs d'enseignants qui a débuté ce travail dans les années 1970, époque à laquelle les perspectives étaient plutôt optimistes. Nous n'aurions pas imaginé alors que quarante ans plus tard, le problème serait aussi délicat.
Je vais donc débuter par une présentation de ce contexte actuel dans lequel s'exprime la volonté de lutter contre l'échec scolaire. Quatre caractères de notre situation me frappent.
Le premier c'est le côté « grande cause nationale » avec les effets de dramatisation, la recherche de l'émotion (l'échec est inacceptable, nous devons le refuser), avec également la politisation du sujet (au sens politicien du terme). C'est à qui voudrait se montrer le plus sensible, le plus déterminé, voire le plus démocrate...
Je crois que cet emballement sentimental et partisan maintient en permanence des positionnements de théâtre, des initiatives marquées par l'urgence ou d'opportunisme qui, finalement, empêchent la mise en place d'actions durables et patientes que la difficulté réclame pourtant.
Le second aspect que le recul rend visible, c'est le décalage, pour ne pas dire la disproportion entre l'aspect quantitatif des actions conduites depuis plusieurs décennies et la modestie des résultats obtenus. De plus pessimistes que moi feraient sans doute observer que, sur l'ensemble des modalités (baisse du niveau des connaissances, nombre d'inadaptations, formes nouvelles graves de celles-ci), les constats d'échec n'ont fait que s'amplifier alors même que des plans nationaux se sont multipliés, presque toujours, quoiqu'on en dise, avec des moyens financiers et humains renforcés (en tous cas jusqu'à une date récente).
C'est cette résistance de l'échec aux diverses et permanentes entreprises pour le réduire, que je veux souligner. Il y a dans l'échec scolaire quelque chose de persistant, d'insistant qui semble se jouer des volontés de maîtrise et de réparation que l'on propose pourtant avec constance.
En troisième lieu, il faut remarquer l'évolution de type de réussite que la société demande à l'école d'assurer. Il est banal de constater qu'un échec constaté est l'inverse d'une réussite attendue. Qu'est-ce qui, dans le mandat actuel de l'école, peut se révéler très limité, voire absent dans les résultats?
L'école, au long des dernières décennies a été sollicitée du côté de la réussite professionnelle par le diplôme, du côté de l'épanouissement individuel, du bonheur même, du côté de l'égalité sociale et enfin pour réparer toutes sortes de désordres sociaux, pensons par exemple à la vogue scolaire du thème environnemental et à la sollicitation des établissements pour les grandes campagnes sanitaires ou sécuritaires (l'obésité, la route, etc...) Il suffit d'un peu de logique pour admettre que cette multiplication des attentes produit forcément par le biais et la dispersion des efforts, nombre d'insatisfactions, de déceptions, de constats d'échecs. Et de plus, j'allais dire « et surtout » il en découle un brouillage des missions et des évaluations que nous n'avons jamais connu par le passé. Un exemple: très récemment de hauts responsables de la lutte contre les discriminations (ethniques, sexuelles) regrettaient le peu de succès de l'éducation scolaire dans ce domaine. Si on sait, par ailleurs que l'illétrisme (de populations ayant été scolarisées) s'accroit très rapidement, où situer nos regrets? Autrement dit, n'y-a-t-il pas des regrets prioritaires? Je crois que l'échec scolaire est devenu un vaste réservoir où s'additionnent quantités d'attentes déçues. Mais sont elles raisonnables?
Le quatrième aspect qui attire mon attention actuellement concerne l'état d'esprit, le moral, des professionnels les plus directement concernés par l'échec scolaire: les enseignants qui sont de plus en plus nombreux à avouer leur impuissance et à exprimer un malaise, une culpabilité même, face aux injonctions qui leur sont adressées de remédier à ces difficultés. Les enseignants ne peuvent d'ailleurs exprimer leurs doutes que pour autant qu'on le leur permette, car il se répand actuellement une atmosphère détestable qui tient à ce que le nouveau « management » pédagogique censure certains témoignages pour mieux désigner les locuteurs comme « inadaptés ».
C'est sur cet arrière-plan, sur ce terrain confus qu'il va falloir maintenant faire l'effort de cerner l'échec scolaire en lui donnant des contours reconnaissables et une consistance accessible au traitement.
En premier lieu tenter de distinguer les « formes traditionnelles » de l'échec à l'école et les manifestations modernes de l'inadaptation, est déjà une opération très éclairante.
« Formes traditionnelles de l'échec scolaire », cette expression pourrait laisser penser que ces échecs ne se manifestent plus et que d'autres, nouveaux, les ont remplacés. Il y a co-existence aujourd'hui des deux types de ratage, car, ce sera facile à saisir, les modes traditionnels de l'échec que nous allons présenter ne peuvent pas disparaître. Mais ils sont de nature très différente des modes nouveaux de l'échec. Ils sont moins mystérieux quant à leur source.
Tout d'abord on doit considérer les enfants affectés de handicaps physiques, neurologiques, par naissance ou par accident postérieur. Leur difficulté scolaire plus ou moins importante tient par exemple à la lenteur ou à la maladresse pour effectuer certains gestes.
Ensuite, l'école connait depuis longtemps des déficiences intellectuelles dont certaines, très prononcées, étaient jadis qualifiées « d'arriération ». Il ne s'agit là pas seulement de lenteur, mais de limites pouvant affecter les apprentissages les plus fondamentaux (lire, écrire et compter).
Les perturbations psychiques se manifestant à travers l'humeur, les relations avec les autres ont toujours été connues de l'école. Elles constituent un frein à l'apprentissage qui, théoriquement, pourrait être satisfaisant (et qui peut être efficace de manière intermittente), mais qui, dans les faits, est limité. La tradition scolaire hésitant souvent dans son interprétation: s'agit-il d'élèves qui ne veulent pas ou qui ne peuvent pas?
Une troisième catégorie de problèmes d'apprentissage se rattache à ce répertoire traditionnel. Elle touche depuis toujours des enfants qui sont soit irréguliers dans leur développement (des passages difficiles succèdent à des phases satisfaisantes) soit encore hétérogènes dans leurs investissements culturels et intellectuels. C'est ainsi qu'on a toujours observé les « bons » en telle matière et « nuls » en telle autre pour reprendre les mots ordinairement prononcés.
La quatrième espèce de difficulté que nous rattachons au répertoire connu pourrait apparaître plus moderne, sauf que, sans doute, sa révélation et son accentuation récente ne doivent pas cacher, à notre avis, son caractère permanent. Il s'agit du constat de ce qui s'appelle « inégalités socio-culturelles » face à l'école. Les travaux de la sociologie de l'école, pendant le dernier tiers du siècle dernier, ont corrélé les résultats scolaires aux attentes scolaires et aux pratiques culturelles familiales. A partir de ces constats on s'est demandé de quelle façon l'école pouvait, par ses programmes et ses méthodes, contrarier ou atténuer le phénomène.
Avec cette quatrième difficulté nous pénétrons dans la zone moderne de l'inadaptation scolaire. La distance culturelle entre la famille et l'école n'est plus seulement le fait d'un milieu social considéré comme défavorisé, mais un caractère beaucoup plus général qui est dû au peu d'estime de la société moderne pour la culture scolaire.
Pour résumer de manière très simple les aspects de l'échec scolaire moderne en les séparant bien des modalités traditionnelles et en soulignant leur tournure énigmatique, un constat paradoxal suffit: nous sommes en présence d'enfants en bonne santé, dotés de capacités intellectuelles ordinaires ou bonnes, vivant dans un cadre familial ordinaire avec des parents ayant suivi une scolarité normale ou même bien diplômés et possédant un niveau de vie satisfaisant ou bon. Et, en dépit de tous ces avantages, une proportion de plus en plus importante de ces enfants deviennent des élèves difficiles, passifs ou agités, décrocheurs ou turbulents.
Un autre aspect remarquable de l'échec scolaire contemporain est indiqué par le vocabulaire nouveau, la terminologie spéciale qui sert à étiqueter les variantes de cette nouvelle inadaptation à l'école.
En se plaçant du point de vue des apprentissages de base nous obtenons la liste des troubles en « dys »: dyslexie, dysorthographie, dyscalculie, dyspraxie scolaire etc... Et en se mettant en position d'observer les comportements en classe, nous avons une nébuleuse de troubles plus ou moins importants, plus ou moins mêlés: agitation corporelle, attention fugace, irrégularité dans l'effort, désorganisation matérielle...Le terme « hyperactivité » est la plupart du temps utilisé pour collecter ces phénomènes. Enfin, si l'on se place du côté du groupe social formé par les élèves dans l'école, un certain nombre de dérèglements sont devenus fréquents: agressivité, gestes de violence, rackett et harcèlement, jeux dangereux sur la cour, attouchements sexuels, tout cela dès le début de l'école primaire. Dans les établissements du secondaire les pratiques de la rue ou du groupe se sont infiltrées: drogue, alcool, usage maniaque d'appareils de communication et de jeux vidéo, provocations vestimentaires, parfois violences physiques à l'égard des enseignants ou des personnels de direction etc...
Comment interpréter correctement l'échec scolaire manifesté par les formations que nous venons d'évoquer? Surtout si on veut éviter les explications « obligées » qui ont cours aujourd'hui. Celles-ci versent aisément du côté de la psychologie individuelle (en mettant les torts du côté de l'école, trop rigide et ne reconnaissant pas le potentiel particulier à chacun), ou encore du côté du procès culturel de l'institution scolaire (elle met nombre d'élèves en difficulté car elle s'acharne à inculquer des savoirs et des valeurs périmés), ou du côté des techniques pédagogiques (retardataires, mal outillées pour l'enfant moderne).
Ajoutons à ces explications idéologiquement correctes une tendance biologique et mécanique qui se fait insistante depuis peu, surtout quand il s'agit de justifier la panne des apprentissages: ce serait dû à un gène mal dessiné! Il s'agit là bien sûr d'une science très vulgarisée; les vrais savants restant toujours très prudents sur la part respective de l'inné et de l'acquis en matière de résultats éducatifs et culturels!
On ferait bien, pour comprendre ce qui se passe, de partir des énoncés les plus courants et les plus spontanés des enseignants eux-mêmes, lorsqu'ils s'expriment à ce sujet en évoquant des élèves « immatures » ou encore déclarant « ce ne sont pas vraiment des élèves ». ils font alors référence à un ensemble d'attitudes, de postures qui, à des degrés variables mais de manière assez générale, révèlent un refus, une méfiance, une indisponibilité à la normativité scolaire. Cette normativité devant être conçue autant sur les contenus que sur les procédures pour se les approprier.
En introduction j'ai fait remarquer, avec méfiance, l'obsession de l'échec généralisé: à l'école on voit de l'échec partout et tout le temps. Cette attitude qui amène à monumentaliser l'échec aboutit forcément à une impuissance. Je vais m'attacher à un travail de discernement à ce sujet et essayer de convaincre que tout ce qui ne va pas bien dans l'expérience scolaire de l'élève n'est pas réductible à un échec pur et simple. Dit autrement, la scolarisation produit forcément du ratage, de l'insatisfaction, des rencontres avec les limites, toutes sortes de désagréments inhérents au processus de transformation d'un enfant en adulte social. Devrait-on forcément appeler « échec » ce que cette conversion obligatoire entraine de restes, de scories, de résistances? On pourrait encore proposer d'autres formulations: l'éducation peut-elle raisonnablement se donner pour but un résultat parfait? Ou encore, l'école n'est-elle pas prisonnière d'une image de l'élève idéal?
Pour répondre à ces questions et aboutir, je l'espère, à une simplification souhaitable du problème de l'échec scolaire, il faudra passer par une distinction entre deux termes, celui d'échec et celui d'épreuve, mots qui n'ont pas du tout la même portée quand il s'agit d'éducation.
Pour bien cerner cette notion d'épreuve, un constat culturel et sociologique d'abord: la durée de la scolarité dans nos pays modernes. Un enfant entre à l'école à trois ans (parfois avant) et y reste jusqu'à environ vingt ans (souvent beaucoup plus). Il y a superposition du segment de développement qui va du bébé à l'adulte et du cursus scolaire ordinaire. Mesure-ton bien ce qui en découle? Voici au moins quelques effets indiscutables de cette particularité:
le brouillage des lignes, des figures entre l'enfant et l'élève.
L'interdépendance de l'éducation et de l'instruction dans l'école.
Le fait que les étapes, conquêtes, épreuves relatives au développement au cours de l'enfance et de l'adolescence se déroulent très largement sur un terrain scolaire avec des enjeux scolaires. Je me permets de signaler qu'il n'y a aucune nécessité à cela et aucun avantage. Nous aurons l'occasion de repérer les inévitables embrouilles qui sont issues de cet amalgame.
Le risque, en conséquence, d'assimiler et de confondre des types de difficultés très différents mais qu'il devient délicat et parfois impossible de séparer.
Il s'ensuit que dans l'école, la partie proprement scolaire (enseigner et apprendre) est dépendante de l'état éducatif (et des élèves considérés, dans leur ensemble, et de chacun pris séparément). Or les opérateurs de l'action scolaire (enseignants, personnels de direction et d'encadrement) ne sont pas maîtres des influences éducatives qui s'exercent sur leurs élèves; C'est vrai qu'ils peuvent (et qu'ils souhaitent) avoir cette influence, mais elle ne vient qu'après celle de la famille, du groupe des pairs et de la rue, et pour autant que ces forces puissantes autorisent l'école à former puis à exercer une doctrine éducative. Quelle est leur marge de manœuvre? Elle se réduit d'année en année au fur et à mesure de l'accroissement des influences sociales.
Le terme d'épreuve, tel que je l'ai introduit, est à prendre dans sa portée ethnologique que l'on continue à observer dans les sociétés dites « primitives » mais qu'ici nous pourrions désigner par « sociétés sans école ». Celles-ci ne sont pas des sociétés sans éducation puisqu'elles doivent, comme les autres, faire advenir l'enfant à l'état adulte. Elles inventent donc des dispositifs qui confrontent les enfants et adolescents à des obstacles qui sont plus ou moins bien franchis; elles instaurent un certain nombre de cérémonies ou rites qui produisent, par le langage des effets symboliques quant à la place des jeunes dans la société.
Insistons sur le fait qu'il s'agit bien, dans tous les cas, de la même opération: au départ, ce qui est donné avec l'enfance c'est la pulsion, la toute-puissance et l'égocentrisme, une vision du monde déformée par l'imaginaire; à l'arrivée il est attendu un être qui reconnaît ses limites, renonce à de nombreuses et importantes satisfactions, accepte le principe de réalité et se range sous la loi commune. Son identité adopte une part sociale car il se reconnaît être membre d'une communauté. C'est à toutes ces opérations, manœuvres, mises en scène, défis etc... que l'on accorde le nom d'épreuves.
Si on accepte cette considération dans sa portée universelle, générale, valable en tous lieux et à toutes époques, il est alors facile de repérer les traits de sa mise en œuvre qui nous intéressent ici. Disons que dans une société qui scolarise de 2 ou 3 ans à 20 ans et plus, l'école va se trouver chargée d'une grande partie des initiations et rites de passage. Non pas qu'une telle mission lui ait été déléguée officiellement et qu'elle soit reconnue par tout le monde. Mais de fait, parce qu'il faut que ce soit fait, déclaré ou pas. Et cet aspect est décisif, car contrairement aux sociétés traditionnelles que j'évoquais précédemment, la nôtre n'est pas du tout claire dans cette affaire: nous savons bien que pour transformer un enfant en adulte il faut faire quelque chose, quoi? On ne sait pas trop; où et comment? La réponse demeure évasive. Qui doit s'en charger? Là, on répond de façon ambiguë: quelque chose d'important va se passer dans le parcours scolaire mais l'école, on s'en méfie quand même. Qu'elle fasse très bien, c'est ce qu'on lui demande, mais sûrement pas comme elle veut, on ne lui reconnaît pas concrètement l'autorité qui va avec la mission qui consiste à administrer les épreuves.
Que devient la famille dans ce parcours ultra-scolarisé? Elle n'est pas inexistante mais son rôle est forcément minoré. Se séparant très tôt de ses enfants, elle peut être poussée à s'en remettre aux enseignants pour les tâches qui sont éloignées des missions scolaires (il suffit de penser à la vie quotidienne des enfants de 2 à 4/5 ans). S'en remettre sans pour autant faire totalement confiance, ce cas est fréquent. S'en remettre totalement à l'école et s'estimer exonéré de toute tâche éducative, c'est ce qui se produit dans certains cas aussi.
Existe-il encore des rituels sociaux? Les enfants et adolescents sont-ils encore soumis à des épreuves qui ne soient pas imposées ni par la famille, ni par l'école? Avec l'effondrement religieux en Occident, la quasi disparition des « mouvements de jeunesse » et le peu d'attractivité du domaine politique pour les adolescents et les jeunes majeurs, on peut être sûr de la carence à ce niveau.
Portant, enfants et adolescents, par nature influençables et modelables, vont être exposés à des effets sociaux, lesquels? Nous allons maintenant les identifier: l'influence des groupes et communautés de « pairs »l'ultra présence en lieux et en temps des médias contemporains (internet et tous les lieux d'identification qui s'y développent), la dictature commerciale qui a fini par imposer une définition de l'enfance et de l'adolescence. On commence à mesurer le niveau des forces exercées par ces agents de formation moderne de l'enfance et de la jeunesse mais la parade n'existe pas, et, à court et moyen terme,impossible pour au moins deux raisons. La première à cause des puissances d'argent qui manient ces opérations (les états paraissent tout à fait démunis pour entreprendre quelque résistance); la secondes est d'ordre juridique ou plutôt elle tient au rapport que la modernité entretient avec « sa loi ». L'idée de liberté individuelle pour inventer, créer, consommer s'est imposée comme supérieure à tout argument pour protéger: on peut le vérifier facilement en se tenant au courant de l'agitation règlementaire parfaitement stérile qui se déploie autour des nouvelles pratiques de sociabilité (apéros géants, réseaux de type Facebook, etc...).
L'école, bien que n'ayant pas vocation à imposer les rituels nécessaires à la maturation, demeure par obligation le lieu principal d'accueil de l'enfance et se trouve sans le vouloir préposée à ce travail. Or, elle conserve sa mission principale, appelée autrefois Instruction Publique. De cette situation confuse découle nécessairement l'amalgame entre résultats scolaires et positions devant l'épreuve avec notamment l'impossibilité de distinguer, dans bien des cas, ce qui relève des accidents (nécessaires) du développement et ce qu'il faut attribuer à la difficulté des apprentissages culturels.
On pourrait ici me faire une objection: mais, au fond, l' obstacle scolaire ne pourrait-il pas servir d'épreuve tout court puisque, de toutes façons, l'école est maintenant le seul endroit où ce processus devient possible? Cette question est intéressante et permet d'une part de compléter le définition de l'épreuve et d'autre part de montrer pourquoi, à l'école, ce raisonnement ne peut pas, pour le moment, s'appliquer.
L'épreuve comporte un double enjeu, le premier touche à son contenu, le second à son issue. Le contenu c'est l'exercice, le travail et tout ce qui va avec: effort, habileté, connaissance. L'issue c'est le résultat et surtout ce que l'on va en faire. Surtout lorsqu'elle n'est pas, ou pas totalement réussie. Se pose alors la question de l'acceptation de l'élève, de son dépassement. L'épreuve ne s'arrête pas au constat « je n'ai pas pu ou pas su », elle continue avec la résolution d'autres questions: que puis-je faire de ce résultat?
L'acceptation de l'échec est déjà, en soi, un résultat qui va ensuite ouvrir soit sur une remédiation, un rattrapage (réussir là où on vient d'échouer) soit sur un deuil. On pourrait, de façon imagée, dire que la blessure est cicatrisée. Apprendre qu'une blessure peut être refermée, et que l'on joue un rôle dans ce résultat, que d'autres personnes peuvent nous aider, constitue toujours un grand progrès dans la maturation.
Pourquoi donc est-il si difficile de prendre cette direction à l'école? Autrement dit: pourquoi à l'école s'arrête- t-on à l'échec pur et simple sans aller jusqu'au bout de l'épreuve? C'est que présentement la scolarité ne peut pas être lue comme une épreuve, en raison du slogan maintenant posé comme une obligation absolue: « pas d'échec scolaire, la réussite pour tous ». Et comme ce slogan n'entraîne pas de miracle, on essaie de s'arranger, par divers artifices, pour qu'il n'y ait pas d'échec ou pour qu'il ne se voit pas. En dépit de toutes ces manœuvres, si l'échec persiste, étant donné qu'il n'est pas question de « cicatriser », on considère celui qui a échoué comme une victime, ce qui n'est pas du tout la même chose que quelqu'un qui affronte une épreuve. La victime, une fois constituée comme telle, adopte alors une attitude que les spécialistes de soins psychiques connaissent bien: elle se plaint, revendique, haït ceux qui l'on évaluée, crie à l'injustice, aux inégalités et ainsi de suite... Et comme prévu, toute cette invention rend l'individu encore plus fragile à l'épreuve suivante.
Résumons, à l'intention des pédagogues, les effets les plus remarquables pour les élèves, de cette confusion entre échec et épreuve.
Tout d'abord un nombre important d'élèves se ferment face à l'acharnement pédagogique qui nait de la volonté d'effacement de tout échec. On veut « cacher cet échec que nous ne saurions voir » et surtout obtenir très vite réparation. Au prix parfois de stratégies très intenses, indigestes et épuisantes tant pour l'élève que pour l'enseignant.
Ensuite certains perdent confiance en des adultes qui ne sont pas en capacité de percevoir avec justesse la nature de leur difficulté et qui la « déplacent » sur le plan d'un défaut de compétence là où il faudrait plutôt renforcer la maturité générale face aux déceptions de la vie.
Un troisième inconvénient tient dans le fait que l'on concentre l'attente familiale sur le résultat scolaire. Les enseignants ont beaucoup d'anecdotes à rapporter sur ces parents qui ne peuvent même plus évaluer correctement les efforts ou la volonté de leur enfant, disons même sa « résilience » pour employer un mot à la mode. En dessous de tel niveau de performance, leur enfant est systématiquement disqualifié. Une telle méconnaissance complique beaucoup les relations entre parents et enfants.
Au titre des effets imprévus et négatifs de cette confusion, mentionnons l'adresse de plus en plus fréquente d'enfants dits « en échec scolaire » à des spécialistes médicaux ou rattachables au soin. Des voix très autorisées de la pédo-psychiatrie en témoignent depuis quelque temps régulièrement (Aldo Naouri dans « Éduquer ses enfants » et Ph. Jammet dans « Pour nos ados soyons adultes ») Ils font observer que cette médicalisation expéditive de l'échec scolaire correspond à une étape « sautée » du travail éducatif: aider l'enfant à se soutenir dans ses limites.
Si l'hypothèse soutenue jusqu'ici est valide, il nous faut maintenant en tirer les conséquences quant aux possibilités de l'institution scolaire de redresser sa stratégie.
Pour cerner les choses avec réalisme, nous allons nous appuyer sur la séparation que nous avons effectuée auparavant entre les élèves qui rencontres les obstacles traditionnels, habituels et ceux qui sont rattachables aux nouveaux troubles de l'adaptation scolaire.
Si l'élève souffre d'une difficulté d'ordre cognitif ou intellectuel si l'on veut, l'école est tout à fait en mesure d'engager des actions particulières et elle est bien dans son rôle quand elle prend cette initiative. Elle dispose pour cela de trois leviers qui sont bien connus mais que nous pouvons rappeler de façon rapide.
Le premier concerne les contenus et vise l'aspect quantitatif: Certains programmes seront supprimés ou raccourcis ou simplifiés. Cela nécessite, ou pas selon les cas, de créer des validations spéciales pour diplômer les élèves.
Le second porte sur les cursus. On peut les ralentir pour se donner davantage de temps. Le très discuté « redoublement » fait partie de cette catégorie d'option, sans préjugé du fait qu'il se fera ou non à « l'identique ». Le cursus peut aussi passer par des étapes aménagées (classes d'adaptation, de rattrapage, cours préparatoire en deux ans etc...) L'aménagement d'un cursus peut soit permettre à l'élève de continuer sa scolarité dans le circuit dit « ordinaire » soit nécessiter des orientations plus ou moins précoces.
Le troisième levier repose sur la pédagogie au sens le plus recevable et le plus précis du mot. Il s'agit d'utiliser des techniques rendant les apprentissages plus attrayants, plus concrets et essayant de trouver des approches qui rattachent les contenus scolaires à la vie et aux expériences des élèves.
Ce type de difficulté doit être repéré le plus tôt possible et c'est assez facile à faire. Il est plus délicat de décider du démarrage de la remédiation ou du soutien car sans la reconnaissance par les familles du problème découvert, rien n'est sérieusement envisageable. Amener les parents de ces élèves à admettre l'utilité d'un enseignement aménagé ne relève pas de la pédagogie mais des procédures institutionnelles et de la qualité de la relation.
Dans cette forme de l'échelle scolaire, l'aspect de l'encadrement (nombre d'intervenants, spécialisés ou non) est pertinent. Le fameux « nombre d'élèves par classe » joue incontestablement un rôle de facilitation ou d'alourdissement de la tâche de l'enseignant.
Faut-il conserver ou remettre en usage les classes spécialisées? Si oui, de façon transitive pour l'élève ou sur un segment long de son parcours? Tout le monde le sait, la tendance actuelle est à l'inverse, les structures spécialisées sont mal vues, porteuses de « stigmates » comme on dit. Pour l'instant le débat semble clos mais je crois qu'on sera bien obligé de le reprendre car il a été faussé par des considérations idéologiques voire politiciennes: au nom de l'égalité démocratique tous les élèves auraient droit au même parcours. C'est parfait pour les idéaux sociaux mais cela débouche sur une injonction faite aux enseignants de renoncer aux techniques collectives pour mettre en place des dispositifs de différenciation et de soutien individuel qui sont peu praticables dans les faits. Une autre conséquence, carrément néfaste pour certains élèves obligés de demeurer dans un cursus trop exigeant pour eux: l'abandon et la souffrance scolaire.
Pour globaliser notre propos, disons que l'école, avec son expérience, peut relever le défi constitué par cette première espèce d'échec scolaire. Les facteurs négatifs ne sont pas ici de nature pédagogique. Ils peuvent tenir au coût puisqu'il faut renforcer l'encadrement et allonger les cursus. Je ne suis pourtant pas sûr que ce soit là le premier obstacle. Je cois plutôt celui-ci dans le succès d'une idéologie égalitariste qui a vraiment aujourd'hui horreur de toute mesure qui distinguerait les élèves et leur cursus. La phobie de la « stigmatisation » va sûrement rester pour un bon moment encore une entrave au traitement de cette forme d'échec scolaire.
La seconde modalité de l'échec en revanche est beaucoup plus difficile à traiter parce que déjà plus mal aisée à comprendre et ensuite parce que la tradition scolaire, ne l'ayant pas rencontrée, ne dispose pas d'un savoir-faire très important à ce sujet. Pour résumer l'ensemble des troubles de l'adaptation scolaire de type « moderne » on pourrait dire que l'on a affaire non pas à des élèves faibles face aux apprentissages mais à des enfants qui ont le plus grand mal à devenir des élèves, à s'installer dans la posture d'un élève.
Avant même d'entamer l'étape de l'apprentissage (lui-même, on l'a vu, plus ou moins rapide et aisé), il s'agit pour l'enseignant de transformer, si cette expression n'effraie pas trop, l'enfant en élève! Et c'est là que la notion d'épreuve, telle que nous avons essayé de la comprendre prend toute sa portée.
Ce défi oblige à un déplacement, un décentrement de la professionnalisation et engage quasiment une transformation de l'identité professionnelle dans la mesure où les préliminaires éducatifs deviennent prioritaires et que l'enseignement proprement dit ne pourra avoir lieu que dans un second temps, ou, dans le meilleur des cas, peut-être en même temps que l'action éducative mais toujours subordonné à une réussite suffisante de celle-ci.
La transformation maintenant très ancienne de « l'Instruction Publique » en « Éducation nationale » avait beaucoup réjoui les enseignants à l'époque. Ils se sentaient valorisés d'être considérés avant tout comme des éducateurs mais personne ne pouvait se douter qu'un jour la nécessité d'éduquer avant d'instruire nous mettrait « au pied du mur », dans une situation d'urgence et de détresse technique dont il faut dire maintenant quelques mots.
Ces enfants obligatoirement scolarisés qui ne sont pas « vraiment élevés » ne constituent pas, on s'en doute, la totalité de l'effectif mais il serait bon de faire savoir que leur nombre augmente peu à peu et que, surtout, une proportion importante d'enfants est, à quelque degré, touchée par ce phénomène.
Les enseignants, face à cette réalité, doivent entreprendre de les faire entrer dans ce que nous avons appelé l'épreuve impliquée par le fait de devenir élève. Cette épreuve implique des renoncements individualistes, l'abandon de postures égocentriques, des acceptations normatives et culturelles, le respect des règles sociales (qui sont très fortes à l'école, par nécessité pratique).
On comprendra facilement qu'un certain nombre d'enseignants soient surpris, désarmés devant cette tâche qui n'était pas prévue. Comme le disent avec simplicité quelques uns: il faudrait faire un autre métier que celui pour lequel nous avons été recrutés. On entend parfois la protestation « nous ne sommes pas des assistantes sociales ». si on regarde de près le cas des élèves qui sont à l'origine de ces réactions, on s'aperçoit très vite qu'ils ne s'agit ni d'enfants soumis à une pathologie, ni de délinquants et qu'ils ne sont, la plupart du temps, pas issus de famille en déshérence sociale. Ils présentent ce que nous pouvons désigne,r très globalement, une carence éducative et en dépit des capacités normales ou plus, ils ne sont pas en mesure de supporter, voire de comprendre les contraintes qu'imposent forcément tout apprentissage et toute forme de vie sociale.
Si les enseignants acceptent de regarder en face cette situation (ce qui n'est pas toujours le cas, certains s'en tenant à considérer que « ça ne devrait pas être comme ça) il faut qu'ils acquièrent par l'expérience une compétence professionnelle nouvelle. Où vont-ils trouver les ressources, les appuis, les concepts et les conseils qui pourraient permettre de « tenir » face à une situation que l'outillage traditionnel du métier ne permet pas de maîtriser?
La grande majorité de leurs formateurs et conseillers ne sont pas très aidants et se limitent à dire « il faut », relayant les injonctions ministérielles et hiérarchiques, quand ils ne se contentent pas de pointer les échecs (inévitables pourtant).
Dans l'ordre d'urgence la première tâche est de construire, dans le cadre national, une doctrine d'éducation scolaire pertinente. Pour le moment ce n'est pas à l'ordre du jour, nos cadres politiques n'ont pas pris la mesure des phénomènes que nous avons évoqués et les cadres administratifs de l'éducation continuent à pratiquer la « politique de l'autruche » à ce sujet. Les objectifs de formation qu'ils assignent à l'école présupposent un élève autonome, mature et capable d'entrer assez vite dans les apprentissages. Bien sûr, ils ne sont pas sans savoir que les résultats attendus ne sont pas obtenus, mais devant ce constat ils ont tendance, ou bien à rapprocher les objectifs du niveau des élèves, disons à simplifier les programmes et à dévaluer les contenus, soit à reprocher aux enseignants de ne pas être « adaptés » notamment sur l'appareillage technologique. Soulignons l'erreur de perspective sur ce dernier point: un enfant qui tarde ou renâcle à devenir élève ne sera pas transformé par la présence de l'ordinateur! Celui-ci ne le dispense en rien des renoncements aux pulsions ni des efforts intellectuels!
Cette doctrine nouvelle que l'on attend n'aurait certes rien de triomphant. Bien au contraire elle aurait la modestie d'admettre l'état des choses. Mais cela placerait les enseignants dans une position tenable et en tous cas leur éviterait l'embarras actuel de devoir agir « comme si ».
Cette doctrine générale affirmée, la seconde étape consisterait à réformer la pédagogie scolaire en cohérence avec les constats. C'est à dire à l'extraire d'un certain idéalisme, à la simplifier et à l'orienter vers des techniques beaucoup plus concrètes et partageables par tous les enseignants. Ce qui implique d'abord la remise en place d'une formation initiale actuellement menacée et, n'hésitons pas à le dire, une formation plus modélisante ou impliquant davantage de « standards » de travail que le vaste champ d'essais individuels actuels qui porte le beau nom de « liberté pédagogique »
Parallèlement, l'accompagnement des enseignants: on pourrait dire formation continue mais la nature des obstacles présentement rencontrés appelle une présence qui devra être rassurante et apporter des points de repère pour agir.
Les enseignants qui font face à ce nouveau type d'élèves en difficulté, éprouvent, avant même de faire face à la recherche de solutions, un choc, une surprise qu'il leur faut pouvoir exprimer sans être culpabilisés par des jugements qui les renvoient à une incompétence. Ils ne peuvent être aidés que par des conseillers ou des formateurs qui ne sont pas dans le déni de la réalité, qui sont capables de partager les constats sans se protéger eux-mêmes. La sélection de tels profils et leur entraînement à l'analyse de pratiques et au maniement de l'écoute et de la parole sera indispensable un jour. Pour le moment ce n'est pas la direction choisie. On continue à privilégier le formateur de type « manager », apparemment très amical mais très autoritaire sur le fond et peu apte à l'humilité que requiert une observation rigoureuse du terrain.
Dans l'immédiat et dans l'attente plus ou moins longue de réforme vraiment réalistes on ne peut conseiller aux enseignants que la patience, les inciter à se fortifier « du dedans », soit tout seul, soit en s'appuyant sur de petits réseaux associatifs, professionnels, amicaux et de mettre en avant le bon sens dans leurs démarches pédagogiques;
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