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Contre la violence à l'école, des plans suffisent-ils ?


 


 

La récente tenue d'états généraux au sujet de la violence à l'école, suite à une dizaine de plans sur une période d'une quinzaine d'années, constitue une incitation à revenir à des considérations de fond.

On se trouve dans l'obligation de constater la presque nullité des résultats atteints car le consensus est presque obtenu pour affirmer que le phénomène est en croissance aussi bien sur un plan quantitatif que dans la gravité des faits.

Est ce que les mesures adoptées dans ces différents plans étaient adéquates ? Si oui, ne s'agit-il que d'une insuffisance de moyens au service de stratégies correctement fondées. Si non, pourquoi cette persévérance dans des initiatives inutiles ? Et si elles n'étaient pas appropriées, est-il possible de revenir à la source des inconvénients pour envisager de refonder l'action ?


 


 

La réflexion qui suit se propose de clarifier une situation que l'on estime particulièrement confuse. Nous avançons de suite l'hypothèse selon laquelle de nombreux brouillages sont maintenus sur l'état de choses car il existe une réticence assez partagée à prendre le problème en face. Sans parler de censure à ce sujet, il faut reconnaître que beaucoup d'énoncés se font « du bout des lèvres ». ce n'est pas un sujet tabou, mais il incite à tant de précautions verbales que l'on aboutit souvent à ne rien dire de très décisif.


 

Pour pousser à sortir de cette sorte d'immobilisme mental une série de questions vont être ici successivement posées. Elles ne sont pas organisées dans un plan harmonieux conduisant à des conclusions sûres; personne n'en est là pour l'instant. Mais on peut, au minimum, tenter de provoquer des surprises, de stimuler des réactions, voire avec un peu de chance, d'ouvrir des voies d'interprétation du phénomène, en s'autorisant quelques libertés.


 


 

Première de toutes ces questions : la violence à l'école est-elle prise au sérieux ?


 


 

La communauté médiatique (elle est constituée de ceux qui fabriquent l'information et de ceux qui la consomment) me dira : « Mais on en parle ». On parle de tout mais faut-il en conclure qu'on y attache de l'importance au point de vouloir changer quelque chose ? On sait bien que non. On sait même que la surabondance de propos sur tel sujet peut n'être qu'agitation verbale. La lecture des articles de presse à ce sujet laisse penser que les réalités que nous évoquons ont déjà été rangées dans les « faits de société ». Qu'est ce qu'un « fait de société »? C'est une habitude dont on reconnaît l'installation comme naturelle, comme allant avec le développement normal et évidemment très appréciable de notre société.

Certes on ne trouvera aucun commentateur pour prononcer la louange des violences scolaires mais beaucoup souligneront, sans états de conscience, que ce sont des inconvénients qui surgissent sur la voie du progrès et que la modernité dont nous sommes si fiers ne doit pas s'arrêter pour autant.

Ainsi les réactions que le phénomène suscite constituent davantage une suite d'émotions de faible niveau, qu'un rejet massif. Autrement dit la qualification des faits ne dépasse pas encore la bénignité du fait divers. Alors que peut être le fait devrait conduire à des remises en cause radicales, il se fond dans le paysage, se banalise et n'appelle dans les circonstances les plus graves ( tentative de meurtre par exemple) que des rituels de compassion ou de réprobation verbale convenue : le Président, le Ministre, le Recteur, l'Inspecteur « condamnent avec la plus grande fermeté ».


 

Seconde question : est-il permis d'en parler ?


 

Je connais bien la formule « aucun sujet n'est tabou ». On en abuse tellement d'ailleurs que je suis devenu méfiant. Alors je précise : je suis tout à fait au courant de l'autorisation que notre société nous distribue de parler de tout, sauf qu'elle nous oblige en même temps à parler d'une certaine manière. Mon objection ne porte pas sur la censure primaire mais sur le barrage que constitue l'obligation d'aborder la violence scolaire selon certaines perspectives et à l'aide de certains mots.

Le cadre du débat est pré-dessiné; c'est celui d'une « socio-logique » Cette écriture indique qu'on ne met pas en cause ici la science sociologique mais le fait que les évolutions sociales ne puissent être décrites que dans la perspective d'une logique « socio ». La société constitue un système qui marche tout seul, s'autorégule pour le mieux et évolue forcément vers le progrès. Si cette trop brève définition n'est pas convaincante, prenons les choses dans l'autre sens et observons qu'il n'est pas permis par exemple de se saisir d'une perspective historique en se demandant par quelles étapes ou évolutions nous en sommes arrivés là, si dans les usages antérieurs il n'y avait pas du bon.

Il n'est pas du tout recommandé non plus d'articuler de trop près le désordre violent à des errances éducatives, en se demandant si la libéralisation de la vie scolaire, la doctrine de la centration de l'école sur l'enfant, la lutte contre toute normativité ne seraient pas des facteurs propices à la dégradation du cadre repérant.

Il est devenu risqué d'en parler politiquement. Quelle serait l'interrogation ici ? L'école est-elle encore, selon les missions assignées à ses fondateurs dans notre pays, dirigée selon des finalités politiques, d'intérêt général. Une telle question laisserait, par contraste, apparaître qu'en effet l'école se transforme rapidement en une sorte de « service » assurant pêle-mêle toutes les commandes sociales (santé, libération sexuelle, façonnage pour les variations économiques, gardiennage des petits comme des plus grands, etc...)

On devient risible si on ose faire l'offre d'un débat philosophique au sens le plus plat de ce terme; Les gestionnaires s'offusqueront : le management certes, mais la discussion sur les fins et les valeurs, quel intérêt ? L'école doit être dirigée selon les mêmes principes qu'une administration ou une entreprise, le fait qu'elle soit dédiée à la transformation des enfants en adultes n'y change rien.

Très rapidement, c'est certain, je pense avoir suggéré l'écart considérable qui existe entre la liberté formelle de discussion et la possibilité d'ouvrir le cadre du débat aux dimensions qu'il requiert. Les turbulences que traverse l'école ne sont pas saisies en rapport avec ses missions essentielles. Ce serait le cas, entre autres, du débat sur le « niveau » ou les programmes par rapport à des valeurs culturelles. On propose en permanence d'adapter les contenus scolaires à des pratiques culturelles sociales définies par le constat statistique : le niveau baisse automatiquement et c'est logique car l'école n'existe pas pour s'ajuster à l'état des choses. Parallèlement, dans la sphère éducative, celle qui nous intéresse ici, l'incitation permanente est d'assouplir le cadre scolaire pour le rapprocher des grandes tolérances éducatives de la famille et de la rue. Devons-nous nous étonner des perturbations que cela entraîne ?


 

Les évaluations des faits de violence scolaire sont-elles fiables ?


 

La multiplication des plans contre la violence scolaire présuppose une gravité reconnue, elle-même fondée sur des évaluations. D'un autre côté, la messagerie médiatique oscille en permanence entre le ton dramatique et la banalisation; le curseur qui devrait séparer l'ordinaire du gravissime ne tient pas en place.

Les témoignages individuels obtenus dans les reportages auprès des différents partenaires de l'école manifestent le même caractère versatile : des personnes bouleversées ou scandalisées, d'autres ignorantes des faits, d'autres encore refusant la vérité.


 

Eu égard au critère de fiabilité, il est honnête de reconnaître les difficultés de la méthode lorsqu'il s'agit d'enquêter. En particulier pour effectuer la séparation entre l'objectivité des faits et la subjectivité des personnes impliquées dans des turbulences. Quand peut-on considérer qu'il y a violence et pas simplement une conduite de rébellion ordinaire chez un adolescent ? Comment hiérarchiser les faits ? L'unanimité se fait pour qualifier une tentative de meurtre mais les insultes à longueur de journée ou encore la mise en quarantaine de quelques élèves travailleurs dans une classe en décrochage collectif sont discutées en tant que manifestations violentes.


 

Toutefois ce n'est pas sur l'aspect méthodologique que je souhaite attirer l'attention, mais plutôt sur la réticence à évaluer de la part de la hiérarchie administrative et de la tutelle politique. Et cela, depuis que le problème est apparu.

On a d'abord retardé toute initiative pour saisir les faits de façon volontaire et généralisée. Puis la collecte des informations s'est heurtée à toutes sortes de méfiances et de réactions hostiles. Sur le terrain de base on a craint des effets de discrimination, des atteintes à l'image. Le refus, manifesté par les instances corporatives, se motive également d'une méfiance à l'égard de l'autorité centrale. Celle-ci est suspectée de se dégager de ses responsabilités en matière de dotation en moyens et de vouloir faire porter sur les agents de base la responsabilité des faits.

Peu à peu, des outils pour recueillir les faits, les trier, les quantifier, ont tout de même été utilisés. C'est alors que certains observateurs se sont demandés si le retour public de l'information était complet et honnête. Est-ce qu'il n'y avait pas d'abord de la rétention, et ensuite, est ce qu'on ne maquillait pas les résultats? L'effet « secret d'état » n'est pas sans fondements; il est notoire que nombre de rapports fournis par l'Inspection Générale aux ministres successifs ont été classés alors qu'ils portaient sur des questions délicates.


 

Je veux mentionner un autre aspect dans cette pratique évaluative officielle qui a contribué à brouiller les résultats. Le débat permanent sur le sens à donner au mot « violence » a peu à peu laissé l'impression que personne ne pouvait savoir de quoi il était question. Le succès (promu) du terme « incivilité » illustre bien cette tendance à inventer un nouveau vocabulaire, plus sympathique, qui passe mieux, quand on hésite à prendre acte de certaines évolutions désagréables. Il est peut-être résulté de ces précautions diplomatiques une banalisation de certains usages dont on peut, c'est vrai, toujours remanier l'étiquette, mais dont il est malhonnête de nier les conséquences destructrices dans l'espace scolaire.


 

Où en est-on présentement dans cette trajectoire hésitante ? C'est assez facile à situer : on a cédé à la tentation de tracer la frontière entre la violence délictuelle et la violence banale et insidieuse. La première est reconnue, qualifiée et sanctionnée, la seconde est refoulée dans le réservoir toujours disponible de la pédagogie. Pour la première, le policier et le juge, à un degré plus bas le conseil de discipline, interviennent. Pour la seconde, on envisage de former les professeurs soit à la « relation », soit à la « gestion des conflits ». Autrement dit on les laisse se débrouiller. Le bénéfice de cette distinction est bien entendu de se soustraire à un examen approfondi de l'état du terrain éducatif. Les principes et les doctrines qui le sous-tendent ne sont pas critiqués, on peut continuer comme avant en s'efforçant seulement de taper du poing sur la table, voire de faire des exemples lors des événements les plus fracassants.


 


 

La quatrième question s'adresse à la pratique des « plans ».


 

La réaction automatique de nos autorités à toute difficulté sociale par un « plan » devrait éveiller au moins la curiosité. De ce mot devenu tout à la fois magique et banal, on a perdu une partie du sens : planifier, c'est placer dans le temps, de façon logique, des actions visant à un but. Le plan, c'est de la méthode mais cela ne dit rien sur le fond.

On ne peut pas éviter ici d'évoquer l'actuelle manie des plans, des États généraux, des assises, des « Grenelle » etc... Il faut donner l'impression immédiate qu'on a compris, que l'on dispose de la réponse et qu'on s'apprête à la fournir très vite. La réactivité, dit-on, est une capacité hautement appréciée chez les managers.


 

Mais après tout si ces plans successifs concernant la violence scolaire avaient produit quelques effets, qui s'en plaindrait ? Ce n'est pas le cas et la succession accélérée des initiatives montre en premier que le plan précédent était inefficace et ensuite que l'effet imaginaire du mot « plan » persiste toujours.


 

On ne peut pas se restreindre à souligner la fébrilité du management contemporain. Il faut aussi interpréter de manière plus serrée, les causes de son échec quand il s'agit de l'école.

En toute première approche, la fréquentation des enseignants nous apprend qu'au bout de deux ou trois plans ils s'installent dans l'indifférence face au suivant. On peut donc prévoir qu'il n'y aura pas, ou très peu, d'appropriation à la base des composantes de ce plan. Trop de plans a tué le plan pour paraphraser une formule qui a fait ses preuves. La planification répétitive devient pour nos collègues un bruit de fond auquel on ne prête que peu d'attention et que l'on commente avec scepticisme. Il peut arriver d'ailleurs que de bonnes mesures incorporées dans un plan, tombent ainsi dans le gouffre de l'indifférence. Mais comme vous le savez, quand un menteur dit la vérité, on ne le croit plus!

En seconde analyse il faut se demander si ce dynamisme managérial convient au terrain éducatif qui relève, je ne dirai pas à tous les coups de la lenteur mais généralement de l'action de longue durée. Quels effets, autres que perturbants, peut provoquer dans ce champ la rotation de plus en plus rapide des directives ?

Quand il s'agit déjà de faire évoluer des contenus en modifiant les programmes, l'appropriation des nouveautés par les enseignants exige plusieurs années. Alors que penser de projets visant à transformer des attitudes, à faire changer la vie scolaire, à adopter de nouvelles valeurs ? Peut-on s'imaginer que de tels processus puissent se dérouler sur des segments très brefs. Car en effet la hiérarchie n'hésite pas de s'enquérir des résultats quelques mois après la publication de ses directives!


 

Ces plans successifs ont présenté des mesures ou actions à mettre en œuvre dans les établissements. Pouvons nous en saisir l'esprit afin de nous interroger sur leur justesse ? Telle est la cinquième interrogation. Elle se déboîte d'ailleurs de la précédente.


 

Les auteurs des propositions officielles ne manquent pas d'idées et le recensement s'avère même difficile. On craint les oublis. Essayons tout de même de rassembler celles qui demeurent constantes en les classant dans quelques catégories simples.

D'abord les initiatives en direction des élèves conduites par les professeurs et les équipes de direction. Il peut s'agir de commenter en classe des textes sur les droits et les devoirs, d'organiser des débats sur le « respect », d'établir des codes de bonne conduite, d'élaborer des « contrats de vie scolaire ». Toutes démarches qui s' accompagnent d'affichages sur les murs, de distribution de dépliants, et de livrets selon une habitude dite « d'information ». Les messages relatifs à la violence reçoivent alors le même habillage que ceux qui concernent l'éducation sexuelle ou l'incitation à la bonne nutrition par exemple.

On demande aussi aux écoles d'organiser la tenue de réflexions entre adultes (parents, enseignants, élus locaux, représentants des professions juridiques, médicales, policières, psychothérapeutes, etc...)

Plus récemment on a pensé à effectuer des « bilans-sécurité » en scrutant l'état des grillages, des portails. On se trouve alors sur le versant de la protection. S'y rattachent l'idée d'installer des portiques pour détecter les armes, les fouilles de cartable, les contrôles d'identité éventuellement par des techniques anthropométriques. Autant de suggestions qui soulèvent des refus.

Faire intervenir dans l'enceinte scolaire, de façon intermittente, des policiers ou des agents de sécurité est venu à l'idée.

La création au niveau des échelons académiques de cellules de crise, de groupes de soutien, en vue d'apporter une aide ponctuelle aux établissements va dans le même sens : l'aide vient de l'extérieur.

Depuis peu ( États généraux sur la violence à l'école) on envisage d'incorporer à la formation initiale des enseignants des modules susceptibles de leur apporter aussi bien la compréhension des faits que des méthodes pédagogiques pour y remédier. « Prévention de la violence » ou « gestion des conflits » sont les titres les plus entendus.


 

Peut-être vaut-il toujours mieux faire quelque chose plutôt que rien, mais cet axiome de bonne volonté ne doit pas nous interdire d'une part de faire apparaître certaines impasses dans ces mesures, d'autre part de suggérer qu'elles témoignent plus d'une hyperactivité politique et administrative que d'une volonté de transformer en profondeur le terrain éducatif fragilisé qui engendre les dégradations que l'on déplore.


 


 

Commençons par les essais de convaincre les élèves; cette « pédagogie de la loi » est-elle possible ? Autrement dit est-ce une affaire de conviction, de sentiments partagés, de compréhension mutuelle ou bien au contraire de stricts interdits qui bornent l'action de chacun au bénéfice de tous ? Le seul fait de poser la question sous cette forme indique bien la dérive dans laquelle s'engagerait l'école si elle persistait : déserter le domaine de la loi et de la norme pour entrer dans celui du contrat sentimental voire de l'effusion passagère. Notons aussi que dans un monde saturé de communication les messages qui invitent au respect ne sont pas plus audibles que ceux qui poussent à consommer tel produit. Brutalement formulé : pour les enfants et adolescents c'est de la pub aussi. Il y a grand danger à confondre l'énoncé de la loi ou la prescription morale avec les messages publicitaires. Il n'y a pas à « promouvoir » la loi ou le respect, la seule action qui vaille c'est de contraindre à les pratiquer.


 

Mettre ensemble les « partenaires » pour qu'ils trouvent de manière consensuelle « les bonnes pratiques », c'est niveler le champ éducatif. Enfants et parents, enseignants et élèves ont intérêt à éviter de se placer sur le même plan s'agissant de poser les bornes de la loi. Car ils n'ont ni la même perception de la nécessité de ses contraintes, ni le même rôle à jouer. Il est tout à fait compréhensible que pour les uns la loi apparaît essentiellement comme brimante mais que pour les autres le seul moyen d'échapper à la tyrannie du prochain c'est de s'y accrocher. Les rôles et responsabilités en découlent : aux uns d'apprendre, aux autres de transmettre.


 

L'usage d'auxiliaires d'encadrement et l'appel à la force publique sont envisageables de manière transitoire, là où l'urgence et la gravité des événements l'appellent. Mais la pérénisation d'un tel dispositif serait l'aveu de la faillite éducative. On aurait tout simplement remplacé les contraintes symboliques qui instaurent l'adhésion à la discipline par le rapport de forces réelles qui empêche physiquement les transgressions. Ou qui croit les empêcher car probablement les énergies de rébellion seront stimulées par la présence de ces empêcheurs.


 

Les additifs envisagés pour la formation des enseignants risquent de se transformer en gadgets d'auto-défense; leur effet en tant que tel sera limité du fait de la dégradation du statut du maître. D'autre part, équiper le professeur d'un appareillage de protection c'est implicitement reconnaître que l'usage de l'attaque est quasiment admis par notre société. Remarquons qu'il doit se défendre , ce qui ne revient pas à « être défendu ou protégé ». Le terme « gestion des conflits » induit le même recul. Jusqu'à présent on n'a jamais envisagé qu'un enseignant soit le gestionnaire des conflits dont il est le terme menacé! Nous avons connu le temps où l'esprit libertaire voulait libérer l'élève des abus d'un enseignant qui était disait-on à la fois « juge et partie » et nous nous apprêtons à le transformer en cet étrange personnage qui sera juge et victime et policier peut- être. On ne peut pas se cacher l'effondrement logique que cette perspective nous prépare. Pour qu'un enseignant fasse son métier, déjà fort complexe, il faudrait au moins le soulager d'avoir à en installer en permanence les conditions.


 


 

Notre question n°6 porte sur l'opposition « éducation/répression » qui se trouve au cœur du débat sur les moyens de faire disparaître la violence à l'école.

Cet affrontement entre les partisans du « tout éducation » et ceux de l'usage répressif ne se limite pas à l'école, il a fait tache d'huile sur toute la surface sociale. C'est nécessaire de l'annoncer pour prévenir ceci : il faudra résister à des tendances sociales puissantes pour ne serait ce que ré-ouvrir le débat scolaire à ce sujet.

Le conflit, typiquement moderne, engage chacun à se distinguer en progressiste ou en réactionnaire, sachant que les « progressistes », majoritaires, ont le privilège d'étiqueter tout le monde.

Nous en rappelons ici les données minimales car il est à l'arrière-plan de toute réflexion sur les moyens de résorber la violence. S'agissant de l'école on devine que l'antagonisme des deux idéologies est encore plus profond. La position anti-sanction y est quasiment militante, très doctrinaire et culpabilisante pour ses adversaires.


 

Il en résulte une vision faussée de l'éducation ; l'aspect inhibiteur, autoritaire, répressif au sens où s'entend une formule telle que « réprimer les pulsions », de tout processus éducatif est suspecte, à priori. On envisage donc de moins en moins de considérer l'éducation comme un processus qui oblige, oriente, limite et canalise mais plutôt comme un déroulement naturel, sans à coups ; une sorte de mûrissement harmonieux et heureux, couronné par un état de développement et d'épanouissement.


 

On est pratiquement parvenu à ce point où l'on considère que la pratique de la sanction et plus généralement toute imposition normative retarde et compromet le processus éducatif. La sanction stigmatise au mieux; au pire elle traumatise.

A l'inverse le versant éducatif est idéalisé ; le mot « éduquer » est orné d'une aura et il faut le dire, agité magiquement. Dès que le transgresseur ou le délinquant ont perturbé l'ordre social le chœur s'élève : il faut « l'éduquer ». On pourrait en rire comme au théâtre de Molière où face à tous les maux la médecine répète « c'est le poumon ! ». Pourtant cette dérive idéologique nous met dans une situation de paralysie dont on ne connait pas de précédent ; faire peser sur les enseignants la double injonction d'éduquer et de s'abstenir de sanctionner revient à les placer dans une situation à la fois stérile et désespérée. Stérile parce qu'ils n'auront pas les moyens d'agir, désespérée car ils se retrouvent selon le mot de certains élèves, tels des « bouffons » condamnés à faire semblant de détenir une autorité qu'on se refuse par ailleurs à leur conférer.


 

Les six questions précédemment posées pourraient être affinées ou complétées par d'autres constats afin de parvenir à un inventaire complet des forces qui contrarient la lutte contre les violences scolaires. Elles sont, provisoirement me semble-t-il, suffisantes pour comprendre où nous en sommes.

Pour rassembler toutes les observations évoquées au fur et à mesure je vais, en conclusion, indiquer trois traits qui me semblent les plus caractéristiques de l'impasse dans laquelle nous nous trouvons.


 

Le premier consiste en une sorte de déni de l'état de dégradation du terrain. De la dissolution progressive des repères de la loi en milieu scolaire, notre société ne veut rien savoir. Elle consent seulement à mettre dans le circuit du fait divers les démonstrations les plus voyantes mais n'envisage ni de prendre en compte l'ordinaire de la vie scolaire, ni de rattacher les événements retenus au laxisme éducatif structurel. La violence à l'école ne peut être présentée actuellement que comme la narration médiatique discontinue de faits choquants et en aucun cas comme le signal que les repères traditionnels qui organisent l'espace de l'école ont sauté.


 

Le second trait concerne l'emprise croissante sur l'éducation des stratégies issues de la communication ou du management.

Depuis quelques années la propagation de ces fonctionnements issus de l'entreprise jusque dans les domaines du travail social, du soin médical et psychiatrique a été repérée et des alertes ont été données concernant les conséquences sur la mutation psychique individuelle et sur le dépérissement du lien social. Mais la croyance dans les capacités de l'éducation et de l'école à se tenir à l'écart de ces influences a été maintenue. Cette illusion est regrettable car elle conduit présentement à proposer encore plus de management pour, croit-on, faire disparaître des inconvénients introduits dans l'école par le management lui-même ! L'enseignement et l'éducation sont tombés dans le totalitarisme gestionnaire.

Sans adhérer à des conceptions isolatrices ou « sanctuarisantes » de l'école, il est urgent de rappeler la singularité de l'affaire éducative dans toute société : son effet fondateur et garant de sa continuité. A supposer que les principes du management soient pertinents sur un nombre de lieux où l'homme travaille, à quoi servirait à terme de bien manager des gens qui n'ont pas été éduqués ?


 

La troisième et dernière remarque débouche sur la prospective : que peut-il se passer si une sévère critique des méthodes en cours n'est pas engagées très vite ?

Le fait que les signifiants (mots, emblèmes, slogans) de la modernité aient pris le dessus ne peut qu'enclencher la fuite en avant. Il n'est pas nécessaire de décortiquer les discours programmes des politiques en matière de vision scolaire; ils réduisent à quelques mots : innover, adapter, moderniser. Verbes sans compléments ferait observer le grammairien qui sommeille encore chez beaucoup d'entre nous. Programme sans contenu peut on accentuer de façon encore plus décisive.

Les effets négatifs de la modernisation seront traités par un apport massif de modernisation. Tel est le schéma explicite de la fuite en avant qui s'opère sous nos yeux. Deux modes de réveil restent tout de même possibles. Le premier en s'autorisant un travail historique et critique qui prendrait en compte les invariants de toute entreprise éducative, « de tous temps il faut faire au moins cela »; le second, plus déplaisant serait le « retour du bâton », l'extension des faits de violence en quantité ainsi qu'en gravité et la prise de conscience des coûts sociaux qui en résulteraient.


Date de création : 28/09/2010 @ 16:00
Dernière modification : 22/09/2011 @ 10:55
Catégorie : BILLET du MOIS - Débats
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