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Différenciation et individualisation dans l’enseignement primaire : limites de l’idéal et conditions du praticable.


 

Les propos qui suivent sont l’écho d’un échange qui a eu lieu dans le groupe « formateurs » de l’AAPIE, le 3 mai 2010. Ils prolongent aussi l’article publié dans notre bulletin n°14 : « A propos de différenciation pédagogique, de la théorie à la pratique ».

A la base de l’échange que l’on va synthétiser ici, on trouve l’embarras des formateurs qui animent les groupes d’analyse de pratiques ou qui interviennent dans les écoles : comment faire pour ne pas transformer l’injonction officielle « Différencier » en un facteur de déstabilisation des enseignants ?

En y réfléchissant, nous avons été amenés à considérer des aspects du métier qui ne sont plus pris en compte dans la prescription globale de différencier et d’individualiser. L’analyse de pratiques qui est notre méthode de formation dans les groupes nous oblige à rester très près de la réalité et donc à nous méfier des slogans éducatifs ou des grandes prescriptions pédagogiques qui font peut être plaisir aux foules mais dont la mise en œuvre est impossible.

C’est le cas pour les termes « individualisation » et « différenciation ». En effet, dans une société de plus en plus attirée par l’idée des libertés et du développement individuel, il est prévisible qu’ils auront du succès. On peut alors basculer du côté idéologique ou même franchement sentimental du mot d’ordre sans se demander s’il est praticable de façon aussi générale qu’on le demande.

C’est ce mot « praticable » qui a retenu notre attention et principalement en exigeant de nous le repérage des conditions de praticabilité ou de faisabilité, si l’on préfère. Nous nous situons donc, non pas dans une perspective de rejet de la différenciation mais sur une voie concrète, celle qui conduit au possible, mais aussi celle qui évite de s’engager dans certaines impasses. L’idée assez simple étant celle-ci : mieux vaut ne pas s’engager en force dans des projets et organisations qui nous feraient perdre le contrôle de l’ensemble de notre action professionnelle.

En tant que formateurs, nous devons essayer d’agir de manière responsable : d’abord en adoptant une attitude rationnelle quant aux directives, surtout si elles sont influencées par des idéologies, et tout particulièrement par égard pour les enseignants que nous ne pouvons tout de même pas pousser au découragement. Soyons tout de même un peu logiques : mieux vaut un enseignant qui demeure valide en faisant ce qu’il peut, plutôt qu’une personne totalement démobilisée qui renonce à tout effort voire qui se rend malade parce qu’elle est obligée de s’affronter à l’insoluble ou d’effectuer des acrobaties pédagogiques pour satisfaire à un contrôle.

Quelles sont les conditions qui permettent, en fait, une pratique de différenciation ?

Nous en avons retenu quatre en examinant les différentes composantes de la situation d’enseignement.

1.La condition qui touche à l’élève lui-même :

On ne va pas jouer à ce jeu ridicule qui consiste à séparer de façon radicale des élèves que l’on peut « différencier » et des élèves pour lesquels c’est impossible. Nous savons très bien que la différenciation s’exerce toujours de façon ordinaire. Simplement on sera sensible à ce qui découle pour l’élève d’une organisation spécifique. Elle implique que l’élève concerné soit, de manière plus ou moins longue et répétitive, séparé des autres et qu’il accepte au moins « a minima » cette situation. Cela exige certains traits de personnalité. Des élèves très perturbés dans leur constitution sociale ne pourront assumer la coupure qu’implique un tel dispositif. Il est fructueux de préciser cet aspect, mais dans ce court repérage, on se contentera d’expliciter les différentes sortes de conditions pour les rendre sensibles.

2.La condition qui touche à l’enseignant :

Tout enseignant n’est pas le super-pédagogue que l’on admire dans certaines productions télévisées. La capacité à « se couper en quatre » pour assurer à la fois l’ordre et l’activité dans le groupe-classe tout en étant présent assez souvent auprès d’un ou plusieurs élèves n’est pas innée, ni fournie par des fiches élaborées dans les bureaux ministériels. Il faut de l’expérience au sens où la pratique à un même niveau pendant des années apporte des repères et des automatismes qui facilitent cette sorte de « dédoublement ». Mais c’est difficile voire impossible pour un débutant dans le métier ou pour quelqu’un qui vient de changer de niveau de classe.

Il y a une autre inégalité, si l’on peut employer ce mot, qui tient à la personnalité de l’enseignant. Cette dissociation entre conduite du collectif et interventions différenciées n’est pas aisée pour n’importe qui. Elle peut, assez souvent, être génératrice d’angoisse et provoquer de la fébrilité. Il y a des risques à pousser quelqu’un dans une pratique quotidienne dominée par la peur.

3.L’état de la classe :

Lorsque l’on dévie des organisations (parfois complexes) qui permettent à des élèves de travailler seuls et à l’enseignant de maintenir un lien avec eux, on miniminise ce qui a lieu « sur l’autre plateau de la balance ». Que font les élèves non-différenciés, ordinaires, pendant ce temps là ? C’est un point délicat et qui ne se règle pas par magie. Cela s’organise aussi en termes de durée, de contenus, de consignes bien sûr. Mais, il faut aussi faire la part de ce que l’on peut appeler le degré de maturité du groupe-classe. Cette caractéristique tient à des capacités de séparation, d’inhibition, d’endurance, d’attention qui sont forgées par des habitudes de vie de classe mais qui sont très variables d’une année à l’autre, d’une classe à une autre.

Est-ce que certaines caractéristiques d’un groupe-classe peuvent interdire la mise en place d’organisations de différenciation ? Cela peut aller jusque là !

Mais dans tous les cas, il sera indispensable d’ajuster les formes du dispositif d’aide aux possibilités d’autonomie du groupe global. L’enseignant ne peut pas apporter une disponibilité à un ou plusieurs élèves au prix trop fort d’une désorganisation du groupe ouvrant au pire sur un chahut chronique et souvent sur une très faible activité du reste du groupe.

4.Techniques et ressources disponibles :

Par techniques, on entend les organisations notamment matérielles, découpage temporel , aménagement de l’espace, disposition du mobilier. Mais on envisage aussi les façons d’utiliser les supports cahiers, classeurs, de manier les évaluations de façon adaptée à ces élèves en situation particulière.

Les ressources désignent essentiellement des documents à usage individuel tels que fichiers autocorrectifs ou pas, programmes de travail sur matériel informatique, batteries d’exercices d’entraînement ou de rattrapage portant sur les contenus de programmes, matériel ludique et éducatif etc…

Toutes ces ressources sont soit à rechercher dans des offres d’éditeurs, soit à constituer par l’enseignant lui-même en ayant souvent recours à des outils utilisés à un niveau inférieur. Par exemple, pour soutenir des élèves fragiles dans un CP, on des exercices courants de la Grande Section. C’est un sujet qui demande, on s’en doute, abondance de précisions. Mais là aussi le but de cette intervention, c’est de formuler un rappel ferme des conditions rendant faisable la différenciation.

Celles-ci étant maintenant affirmées, il reste à tirer les conclusions pour la démarche des formateurs, actuellement très sollicités par leur hiérarchie, pour « impulser », selon l’expression usuelle, les pratiques de différenciation.


 

Quelques recommandations à l’intention du formateur :

  1. Eviter de passer en force : s’abstenir des injonctions « il faut » et des simplifications « y a ka ».

  2. Eviter de se faire le simple messager, le pur transmetteur d’un ordre venu d’en haut : « différencier ». Cette attitude ne laisse plus place au travail de production qui doit réunir le formateur et l’enseignant.

  3. Présenter la différenciation comme relative au sens le plus strict de ce mot qui ne veut pas dire « insignifiante » mais devant être reliée aux aspects du contexte : comment pouvons nous, concrètement, différencier ?

  4. Proposer pour chaque enseignant une approche adaptée à sa situation.

  5. Faire avec lui l’état des lieux des conditions dans lesquelles il agit.

  6. Définir, de façon minimale, sans surcharger, les éléments d’une perspective pour « commencer ». Il s’agit d’inciter à entreprendre et surtout pas d’intimider avec un projet monumental.


 


 

Conclusion : le formateur se trouve à son tour en situation de différenciation devant les enseignants auxquels il a affaire. Il pourra se rendre compte de la difficulté de la chose. Mais il disposera d’un avantage : en acceptant d’être un partenaire de travail réel, il évitera le rejet massif qui l’oblige souvent à se transformer en tyran.


Date de création : 28/09/2010 @ 15:41
Dernière modification : 28/09/2010 @ 15:46
Catégorie : ACTIVITES - Formateurs
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