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A propos d’accompagnement des élèves et réflexions sur un vocabulaire à la mode


 

Accompagnement : le mot connaît un succès propagé à l’ensemble des pratiques sociales. Dans le domaine de l’éducation scolaire son usage assez récent concerne par exemple le rôle des auxiliaires de vie scolaire destinés à facilité l’intégration dans les écoles ordinaires d’enfants handicapés. Mais la réforme en cours de l’enseignement secondaire prévoit que les professeurs de lycée disposeront d’un horaire pour accompagner les élèves. Au moment de la mise en place dans l’enseignement primaire des horaires de soutien individuel, ce terme était souvent manié pour évoquer le caractère spécifique de la démarche qui ne devait ni se présenter comme une « stigmatisation de l’élève », ni comme une surcharge de travail pour lui.


 

On pressent les raisons qui favorisent ce terme de préférence à d’autres qui pourraient évoquer la contrainte, les obligations, les droits et les devoirs des adultes ou des enfants placés dans un contexte, l’école, qui rappelons-le, n’a jamais été jusqu’à présent le domaine de ma fantaisie.


 

Le mot s’est d’abord présenté hors du champ éducatif, dans des pratiques sociales visant à prendre en compte des personnes en position de faiblesse momentanée ou durable : les malades, les chômeurs, les personnes âgées…Puis son usage est devenu si banal qu’à l’occasion de toutes récentes crises financières et économiques, les plus hauts responsables de l’état ont estimé de leur devoir d’accompagner l’ensemble des français. « Ce qui fait beaucoup pour un seul homme », s’exclamerait l’humoriste.


 

Nous allons prendre ici quelque distance devant ce succès et l’empressement que manifestent tant de gens à en accompagner d’autres. Car après tout, ils ont un métier, ce qui implique des compétences particulières à exercer. A l’inverse, allons-nous faire accompagner une moitié de notre société par l’autre ? C’est à dire qu’il existe sans doute, à un moment donné, des besoins tout à fait concrets concernant un certain nombre de personnes confrontées à des accidents de la vie, mais s’agit-il d’un besoin d’accompagnement ?


 

S’agissant de la vie sociale en général et de l’éducation en particulier on peut aussi craindre une dissolution des pratiques professionnelles : qu’est-ce qu’un policier qui fait de l’accompagnement auprès des jeunes du quartier ? Quelles évolutions va connaître le métier de professeur lorsqu’il devra consacrer une partie de son service à accompagner des élèves ? On peut même redouter l’effacement de certaines responsabilités et le masquage des conflits. C’est le cas lorsqu’on développe trop loin l’accompagnement des travailleurs victimes des mécanismes sauvages du capitalisme. On ne propose pas de les abandonner mais franchement, pour désigner les actes qui s’imposent ne vaudrait-il pas mieux parler de « justice » ?


 

A quoi tient le pouvoir de séduction de ce mot aujourd’hui ? Dans quel contexte de modernité sociale, dans quelle vision du lien social vient-il s’imposer ? Ce terme fait surgir des associations marquées par le sentiment plutôt que par le rôle et les obligations de tenir une place. L’accompagnement appelle la proximité, il procède d’une intention de générosité, il est en connivence avec le souci égalitaire.

Nos mentalités n’ont pas de sympathie pour les différences de place, les dissymétries notamment hiérarchiques et même si elles sont plutôt fonctionnelles et liées à des écarts de savoir ou de savoir faire, elles sont encore suspectées d’introduire l’abus de pouvoir.

L’autorité, on le sait ne se porte pas bien- aux différents sens du verbe « porter » -c’est à dire que d’une part elle est faiblarde et d’autre part il ne fait pas bon s’en revêtir. Introduire le compagnonnage fraternel là où exerçait la sècheresse ne peut que plaire par les temps qui courent à l’harmonie. Entre compagnons, les différences s’estompent, la sollicitude prend l’avantage sur tout autre visée concernant l’autre ; adieu la culpabilité qui découle souvent de l’idée que l’on pourrait créer du tort à son prochain.


 

Cette tendance s’exprime dans l’activité législative de façon très explicite. A chaque occasion où il est question de mettre fin à des négligences ou à des transgressions, on a affaire à la même séquence : d’abord pénaliser puis accompagner. Puisque nous nous intéressons particulièrement à l’école, le cas des parents responsables de l’absentéisme de leur enfant est très évocateur. Le premier mouvement, c’est la demande de sanctions ( financières avec la suppression des allocations familiales). Puis très vite s’élève la protestation compassionnelle : « ces parents ont surtout besoin d’être accompagnés ».


 

De retour dans le domaine scolaire, on n’aperçoit pas toujours les déplacements tant dans l’acte d’enseigner que dans l’identité professionnelle du maître ou encore pour la place d’élève, que la promotion de l’accompagnement opère.


 

Commençons par l’organisation des places. Jusqu’à très récemment, il était admis que ce qui se déroulait entre le professeur et l’élève incluait une distance à la fois entre l’adulte et l’enfant et entre un professionnel savant, dépositaire d’une culture et un élève considéré à cet égard comme partant de rien. Une telle typologie écartait l’accompagnement puisqu’il fallait – ferme commande sociale- faire entrer l’enfant dans un univers préexistant et puissamment normé. L’accompagnement de l’élève par le professeur, à moins que ce ne soit là qu’une figure de style, suppose que l’élève est dépositaire d’une volonté orientée, des capacités pour aller de lui-même vers ce qui lui est bon et que cela coïncide avec l’intérêt général. L’enseignant se transforme alors d’initiateur en auxiliaire , il est au service de l’élève ( il était au service des directives sociales auparavant, et notamment dans notre tradition républicaine, porteur d’une mission politique, ce qui n’est pas à sous-estimer.)


 

Continuons avec l’autorité : l’accompagnement soulage d’autant mieux d’avoir à assumer l’autorité qu’il rattache les protagonistes par un lien sentimental. En accompagnant, l’enseignant fait don de soi et met en place une relation duelle qui admet mal l’autorité car celle-ci est toujours détenue au nom d’un tiers ( la société, le ministre etc…) Il n’est pas surprenant que même intrigués sur la méthode, un certain nombre d’enseignants puissent s’enthousiasmer à accompagner. Ils y trouveront ( dans un premier temps seulement) un soulagement. L’autorité est désagréable à assumer car elle oblige toujours à décider et souvent à dire « non ». Par la suite, on pourra le regretter car la relation d’autorité protège des pressions de l’autre et de son éventuelle intention de nous capter. Ce n’est pas le cas des relations dominées par l’amour auxquelles l’accompagnement se rattache : l’accompagnement prédispose aux scènes de ménage.


 

L’atténuation de la responsabilité de l’adulte est prévisible dès lors qu’il se met en position d’auxiliaire d’un élève considéré comme moteur de son propre désir et autonome dans ses décisions. Lorsque le projet de l’élève partira en vrille, il sera toujours possible à l’accompagnant de déclarer que l’option choisie était certes mauvaise mais qu’il n’avait pas à intervenir autrement que pour soutenir la décision de celui à qui elle appartient . Il faut absolument mettre cette considération en rapport avec des évènements tout à fait concrets de la vie scolaire. : de plus en plus, l’élève choisit ses options, de redoubler ou non, de s’orienter dans telle filière etc…toutes décisions qui peuvent assez souvent ne pas être en adéquation avec les évaluations actuelles ou les estimations de réussite que font les professeurs. Évidemment la rencontre avec ces échecs s’effectue comme on sait : haine de soi ou rejet complet de l’institution scolaire qui nous a trahi.


 

Le service d’accompagnement va contribuer à entamer davantage une identité professionnelle déjà mise à rude épreuve. Il y a quelques décennies, à la presque unanimité de la corporation, on s’était flatté de devenir éducateur. Enseignant faisait « vieille société », trop restrictif et il semblait alors que le titre d’éducateur allait ouvrir à une reconnaissance sociale plus flatteuse. On sait ce qu’il en est advenu : en gros, dans une société ou les prérogatives éducatives sont disséminées et surtout où le savoir éducatif n’est la propriété de personne, les enseignants-éducateurs ont rejoint la nébuleuse des professions de l’intervention sociale. Il ne reste pas grand chose de leur ancien ancrage culturel, lequel pourtant n’était jamais contesté.

L’accompagnement risque de faire perdre encore du peu qui reste de cette vieille considération ; ceci pour l’image sociale. Du côté de l’identité professionnelle, il y a probablement une autre dégradation en vue. Même si l’enseignement est une technique complexe, les geste du métier y sont encore très caractéristiques. On s’estime enseignant du fait de savoir les pratiquer et les rationaliser ; La notion d’accompagnement est floue. Son contenu est beaucoup plus expressif et émotionnel qu’objectif.

Lors de l’installation du soutien individualisé, il n’était pas rare d’entendre des enseignants objecter qu’il s’agissait d’un travail de spécialiste et non du leur. ; ce qui est très discutable. Mais que dire de l’accompagnement lorsqu’il est demandé à un professeur de lycée recruté uniquement pour sa maîtrise dans une discipline et ses capacités à en transmettre les contenus ?


 

Dans les démarches critiques qui précèdent, on a pu apparaître sévère. Il ne s’agit pourtant pas de mettre en cause les actions bienveillantes ou généreuses de n’importe quel citoyen qui est convaincu de rendre service. Le propos est surtout théorique et conceptuel. Une tendance manifeste est à l’œuvre depuis quelques temps, face à des préoccupations bien réelles, à se payer de mots. Peut-on vraiment avoir éclairé le problème posé et trouvé les outils pour le résoudre en jetant dans le discours public un mot ou une formule aux sonorités à la fois nouvelles et séduisantes ?

Cette intervention se veut un rappel à la démarche méthodique et pourquoi pas, scientifique face à des attitudes qui ont des traits communs avec la magie.


 

Dans le prêt à parler des pédagogues, un certain nombre de ces mots ou formules circulent déjà depuis longtemps : l’élève au centre du système, la motivation, l’autonomie des élèves du secondaire, l’apprenant ( à la place de l’élève),l’individualisation et la différenciation etc… pour ne citer que pêle-mêle, des termes devenus usuels. Tellement banalisés d’ailleurs qu’ils se trouvent hors critique. Ils sont admis, reçus comme on dit «  des idées reçues ». Leur contenu est au mieux approximatif, au pire inexistant. Ce qui n’empêche pas que des lois, des règlements, des directives pédagogiques et même des manuels scolaires soient rédigés à partir d’eux.

On aperçoit ici qu’une pratique de philosophie de l’éducation dans la formation initiale et continue des enseignants ne serait pas du luxe.

Il y a des moments où dans le travail relatif à l’éducation, une pause destinée à faire le tri, à examiner les présupposés apparaît urgente. Avec une grande poubelle à portée de main.


 


 


 


Date de création : 14/06/2010 @ 17:40
Dernière modification : 22/09/2011 @ 10:55
Catégorie : BILLET du MOIS - Débats
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