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Dans « cyber-prof », il y a « prof ».


 


 

Dans son numéro du 10 février 2010, le Monde de l'Éducation présentait un panorama de l'enseignement des langues. On y déplore selon l'usage, le niveau jugé trop faible des élèves de France et, comme d'habitude, on préconise pour y remédier la généralisation de techniques modernes tout en laissant entendre la résistance passéiste des professeurs.

« L'enseignant de demain sera un « cyber-prof »... Tableau numérique, clé USB, lecteur MP3; la future trousse du professeur de langue ». tel est le titre d'un article de ce dossier apportant le témoignage sur la façon dont les établissements de formation des professeurs moderniseraient leurs équipements et leurs méthodes.


 

Au-delà des considérations techniques, qui ont toute leur valeur, sur les méthodes d'enseignement des langues vivantes, un tel article incite à reprendre une fois de plus le débat utile sur la part raisonnable des machines dans l'enseignement. Jusqu'à quel point des appareils nouveaux dont le perfectionnement ne s'arrête pas, peuvent-ils changer sur le fond aussi bien la manière dont les élèves apprennent que la nature même du métier de professeur ?


 

Posons d'entrée que l'utilisation des appareils hautement technologiques à l'école introduit des questions pertinentes qui appellent des réponses concrètes. En voici quelques unes qu'on ne saurait éviter :


 

    • comment profiter de ces outils pour accroître réellement l'efficacité de l'enseignement ? Cette question refusant implicitement qu'on les emploie pour des raisons de modernisation formelle.; pour avoir l'air de dire, par exemple « voyez, l'école n'est pas en retard ».

    • de quelle manière l'école peut-elle contribuer, tout en restant dans ses finalités primordiales, à réduire les inégalités sociales et culturelles en matière d'accès aux technologies de pointe ? On pense ici à ce que recouvre la formule « fracture numérique ».

    • des questions de consistance pédagogique arrivent naturellement. Comment manier ces outils, en rapport avec les programmes scolaires, pour qu'ils fassent entrer les élèves dans un travail d'apprentissage authentique et ne se bornent pas à être des « leurres » ou des « appâts ». L'école doit aussi se méfier des dérives démagogiques contenues dans des raisonnements comme celui-ci : puisque le téléphone portable, le MP3, l'internet font partie de l'environnement quotidien des enfants et adolescents, ne serait ce pas un moyen de les réconcilier avec les visées scolaires ?

On sera d'ailleurs sensible au fait qu'avec cette dernière interrogation nous entrons dans le domaine des principes éducatifs au sens noble du terme. Considérerons nous la jeunesse comme une clientèle à fidéliser ou bien estimons nous que nous avons le devoir de transmettre ?


 

Comme très souvent en éducation, les aspects les plus techniques en apparence côtoient les considérations fondamentales. C'est qu'il s'agit d'un domaine où sans doute plus qu'ailleurs, les moyens et les fins ne se dissocient pas. Pourtant, dans ce titre du Monde, le choix des mots, la stylistique, donnent une impression d'emballement. Un tel enthousiasme suscite de la curiosité : cet élan vers la technique est-il bien fondé ?, superficiel ? sincère ? Convenu ?


 

Ce titre frappe par un ton prophétique. « L'enseignant de demain » serait très différent de celui que nous connaissons. La représentation qui en est esquissée rompt avec le profil de l'homme ordinaire : c'est un spécialiste « high tech ». L'imagerie quelque peu héroïque qui surgit le montre en possession d'une panoplie qui peut, par association, évoquer le guerrier galactique ou le super-enquêteur de la police scientifique. La plupart des enseignants ne peuvent que s'étonner devant cette vision futuriste. Non qu'ils soient hostiles à l'utilisation de ces technologies mais plus simplement parce que l'expérience actuelle du métier, ce qui est éprouvé tous les jours dans l'exercice professionnel, y compris avec l'usage des machines, n'incite pas à un débordement lyrique.


 

Seuls des journalistes, ou encore des responsables administratifs et politiques très éloignés de cette expérience du métier, peuvent croire que les hautes performances des machines ont rendu l'enseignement efficace, agréable à pratiquer et que les élèves, une fois pour toutes conquis, se sont montrés volontairement actifs.

Cette croyance est pourtant tenace bien qu'elle contienne un très grand danger : celui de masquer le cœur du métier, aussi bien sa raison d'être que son caractère de plus en plus pénible.


 

Les machines à enseigner pourraient, pense-t-on, dispenser les professeurs de cette place, de tous temps vouée à l'ingratitude, qui oblige à vaincre des résistances et à subir des refus devant l'inévitable imposition culturelle dont l'école est l'agent. Autrement formulée, cette illusion ferait de l'enseignant un simple manipulateur averti et habile de techniques. Sa subjectivité ne serait pas en jeu, la difficile articulation entre la personne et la fonction n'aurait plus lieu d'être construite. Côté élève, la délivrance est équivalente. Plus besoin d'accepter la place d'élève et ses contraintes, il suffirait d'être utilisateur de la machine et usager de l'école. Les places dissymétriques d'enseignant et d'élèves seraient, sur le fond, abolies : nous aurions d'un côté des experts et de l'autre des clients. On ne peut pas non plus éviter d'évoquer le secret espoir d'en finir avec ce que l'école entraine d'échecs : ceux-ci, c'est bien connu, sont le fruit d'un malentendu entre élèves et enseignants. La machine bien programmée et maniée selon les bonnes procédures viendra à bout de ces ratages imputables aux accidents subjectifs. Un professeur sans machine court toujours le risque d'être un pédagogue imparfait. Mais la machine ? Ne va-t-elle pas très vite rejoindre la perfection ?


 

De tels accès d'enthousiasme pour la technologie passent sous silence (et risquent de faire oublier) une situation d'immédiate actualité très préoccupante : de façon intermittente un peu partout et permanente dans certains endroits, l'acte d'enseigner est devenu presque impossible quand ce n'est pas plus ou moins risqué !

Ces perturbations survenant à un moment d'enthousiasme technologique, comment ne pas y déceler un sévère rappel ?

C'est qu'en effet, le triomphe de la technique se produit en simultanéité avec une crise de la transmission scolaire : incivilités, décrochages, marginalisation d'un nombre toujours plus grand d'élèves. Ajoutons à cela la crise culturelle que l'on peut résumer sèchement : les contenus scolaires sont fortement dépréciés. La concurrence entre l'école et ladite « école parallèle » entamée il y a quelques décennies connaît son issue : l'école en est sortie très affaiblie. Il en résulte une situation ahurissante : l'école est toujours chargée de transmettre ses contenus traditionnels alors même que ceux-ci sont pratiquement disqualifiés comme caducs et inutiles.


 

A partir d'un tel constat l'articulation entre les finalités de l'école et les outils qu'elle utilise doit être posé « ici et maintenant » concrètement :

    • les outils nouveaux peuvent-ils renverser la tendance ? Sont-ils capables d'interrompre la désaffection grandissante qui touche la culture scolaire ?

    • Assurent-ils au professeur un minimum d'autorité ? Contribuent-ils à restaurer la dissymétrie des places garante de la transmission ?

    • L'attractivité qu'on leur prête suffira-t-elle pour réinstaller les élèves démobilisés dans la position d'accepter les efforts d'apprentissage et la nature imposée des contenus ?

    • Les formes multiples de l'inadaptation scolaire, les troubles de l'apprentissage seront-ils sensibles à ces techniques ? Seront-ils au contraire indifférents aux effets de « panoplie » et de prestance des machines ?


 


 

De telles questions ne visent pas à faire du futurisme éducatif, de la prospective. Elles veulent seulement ancrer la technologie éducative sur son vrai terrain et permettre d'en apprécier les avantages tout autant que les limites.

Notre modernité a tellement pris l'habitude de chercher, à tout problème, la solution par l'innovation, qu'elle finirait par oublier le problème lui-même. Les obstacles présentement rencontrés dans le domaine de l'éducation devraient rendre plus prudents et méthodiques ceux qui doivent conduire les évolutions.


 


 


Date de création : 10/05/2010 @ 19:14
Dernière modification : 22/09/2011 @ 10:55
Catégorie : BILLET du MOIS - Débats
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