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Méfiez vous des « ismes » et de ceux qui en abusent.


 


 

Le député maire UMP qui a fait de sa commune d' Élancourt (Yvelines) un laboratoire des TICE (technologies de l'information et de la communication pour l'éducation) en équipant notamment toutes les classes des écoles primaires d'un tableau blanc interactif, est un chaud partisan de ces technologies. « Elles bouleversent l'enseignement en le faisant passer d'une perspective instructiviste où règne le cours magistral, à une perspective constructiviste où l'enfant devient acteur de ses apprentissages. »
Ces lignes reproduisent mot pour mot l'extrait d'un article de La Lettre de l'Éducation n°658 publiée par le Monde le 15 février 2010. Nous les présentons ici comme le meilleur échantillon possible d'un discours très répandu sur la modernisation de l'enseignement. Ce discours passe-partout, tout venant, diffusé presque à l'identique constitue un des articles de croyance les plus vénérés d'un catéchisme éducatif.


 

La déclaration de cet élu concentre en peu de mots, mais avec quelle suffisance, quelques unes des idées les moins sûres, voire les plus pernicieuses, sur l'enseignement. Résumons les :

    • les TICE bouleversent l'enseignement. Ce dernier terme contient l'idée de changement radical, de révolution ; plus rien ne serait comme avant.

    • On passe d'une perspective instructiviste à une perspective constructiviste : instruire est un projet dépassé. Construire au contraire est l'horizon éducatif à la fois enrichissant et libérateur.

    • L'enfant devient acteur de ses apprentissages : nous allons mettre fin à des millénaires de passivité et d'autorité tyrannique. Désormais l'enfant accède à la connaissance de lui même, il décide aussi bien de son objet que du mode d'accès. Il devient actif.
       

      Chacune de ces informations appellerait une critique développée et méthodique. Contentons nous de quelques remarques de bon sens.

D'abord le bouleversement ; un mot démesuré. Si, avec l'arrivée de quelques machines, rien n'est plus comme avant à l'école, il faut s'interroger sur la légèreté avec laquelle nous avons pratiqué aussi longtemps. Vingt siècles et plus d'expérience et de réflexion ne pèsent pas lourd. D'autre part, si la seule intervention des machines peut se substituer (avec succès) à cette accumulation considérable d'idées, il faut en conclure que la pensée éducative elle-même ne vaut pas grand-chose. Éduquer, enseigner ? Une pure affaire de circuits électroniques bien agencés. Croire à la réalité de ce « bouleversement », ne serait ce pas d'une incroyable naïveté ?

Venons en maintenant à l'opposition « instructiviste - constructiviste ». Son côté facile et même démagogique frappe tout de suite. Regardons de plus près la supercherie intellectuelle. Instructiviste est un dérivé d' « instruire », il s'agit donc de déclarer l'instruction inutile ou périmée pour passer à la « construction ». Le constructivisme est bien un terme habilité par la pédagogie mais il ne s'oppose pas à l'instruction. Il décrit une des manières dont l'élève s'approprie des connaissances, en passant de l'inconnu au connu, en associant des fragments pour produire une nouvelle totalité, en anticipant sur la suite d'une série commencée etc... On pourrait fournir une liste assez longue d'opérations mentales. Elles ont toutes en commun une propriété de l'esprit humain, une aptitude à dépasser le réflexe et le programme pour agencer, approfondir, inventer. Mais ce don n'est pas une nouveauté. On sait depuis toujours que l'élève n'est pas l'enregistreur passif du discours magistral et qu'en s'appuyant sur celui-ci il produit un effort autonome. La preuve, c'est qu'il fait des erreurs, ce qui n'arriverait pas s'il se contentait de demeurer le récipient inerte d'une science pré-construite.


 

Le rapport entre « instruire » et « construire » n'est donc pas de simple opposition. Il faut instruire, première proposition, un élève qui « met les pieds dans le plat » en transformant de manière plus ou moins réussie l'apport magistral. Voilà la seconde; On continuera donc, comme par le passé, à chercher des solutions pour que de cette nécessaire appropriation découlent beaucoup de réussites et le moins possible d'erreurs. Un tel effort peut être nommé « constructivisme » sans pédanterie. On acceptera aussi de constater qu'une méthode pédagogique puisse être plus sensible qu'une autre à cet aspect. Mais aucune ne peut l'ignorer et surtout, construire est du côté de la méthode alors qu'instruire vise le but. Une telle mise en ordre devrait épargner le ridicule à nos donneurs de leçons modernes.
 

Le « règne du cours magistral »? On pouvait s'y attendre et exactement dans ces termes. Chacun sait que le Cours Magistral est semblable à un monarque absolu, qui règne en tyran, mais à qui, par bonheur, la révolution technologique va couper la tête! Le terme « magistral » est ici mis au rebut sans examen. L'idée que le maître qui fait le cours ait appris lui-même, que ses connaissances soient validées par un décret social n'effleure pas nos adeptes du « bouleversement ». Pour qu'il y ait du maître, il faut qu'il y ait de l'élève; mais pas seulement. Il y faut aussi la connaissance qui, jusqu'à preuve du contraire, n'est pas innée.

Est-il scandaleux que celui qui ne sait pas encore, écoute celui qui a appris? Notons au passage que cette écoute est assimilée à de la passivité, à de l'inertie intellectuelle, ce qui est aberrant. Se taire pour écouter n'arrête ni l'intérêt, ni l'activité intellectuelle. Et d 'ailleurs, il suffit d'assister à quelques minutes de classe pour se rendre compte que cette situation dans laquelle un professeur parle à un élève qui écoute, ne dure pas très longtemps. Il faut bien en effet que l'élève se mette à parler pour que le maître sache à quoi s'en tenir quant à la vertu de son acte magistral.


 

L'imposture du propos moderniste atteint son meilleur volume dans l'affirmation que les TICE placent automatiquement l'élève en position « d'acteur de ses apprentissages ». Passe encore sur l'argument de vente que cette affirmation constituerait dans la bouche d'un marchand de TICE, mais quand on connait le métier, tout de même...

Intéresser les élèves à ce que, de toutes façons ils doivent apprendre, c'est l'équation permanente du pédagogue. Elle ne peut s'effacer à moins que le verbe « devoir » dans « doivent apprendre » soit éliminée. Auquel cas la question de ce que l'on appelle la « motivation » des élèves s'annule et, en même temps, constat qui n'est pas répandu, l'école aussi. Car les enfants et les adolescents n'ont besoin de personne pour aller spontanément vers ce qui leur plaît.
Seulement voilà; l'ambition libératrice moderne n'a pas encore pu supprimer l'obligation pour une société d'intégrer ses arrivants en les dirigeant vers des savoirs socialement valorisés ou utiles.
Car enfin, le tableau, si interactif et si blanc qu'il soit va bel et bien servir à enseigner la géographie, les mathématiques et l'orthographe. Si subtils que soient leurs rouages électroniques, les machines ne pénètreront pas par des rayons subtils jusqu'aux neurones de l'élève pour déclencher l'amour des mathématiques ou imprimer les règles de l'accord du participe passé.
Et puisque nous sommes en plein accès de malice, pourquoi ne pas imaginer qu'au moment même où le professeur active (inter-active) ses outils, notre élève ne va pas sortir sous le bureau son petit jeu vidéo ou envoyer quelques SMS à ses copains et copines. Je ne crois pas que les machines à enseigner disposent d'une grande autorité naturelle non plus !

Autrement dit, pour faire vite, si la technologie d'avant-garde possédait de si remarquables vertus, cela se saurait déjà.


Date de création : 25/03/2010 @ 17:32
Dernière modification : 22/09/2011 @ 10:54
Catégorie : BILLET du MOIS - Débats
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